Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/125

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chez sa gitanilla ; je les entendais (toujours comme le chien du tournebroche) rire, chanter, chafrioler en rigoulant les flacons de vin d’Espagne ; puis nous sommes rentrés à la maison au point du jour. Maintenant, beau-frère Christian, que dites-vous du galant ? Jugez, d’après cette soirée, du nombre de belles que le capitaine Loyola a loyolisées !…

— Ah ! l’infernale hypocrisie de cet homme rend plus horribles encore ses débauches et ses meurtres de spadassin !

M. Jean, absorbé par une pensée secrète, dit au franc-taupin, après un moment de silence :

— Vous avez suivi Loyola à la guerre ?… La compagnie de ce capitaine était-elle bien disciplinée ?

— Ses soldats ? ventre saint Quenet ! Imaginez, non des hommes, mais des statues de fer que d’un geste, d’un clin d’œil, don Ignace mouvait ou pétrifiait à son gré ; rompus, brisés à son commandement ainsi que des machines, il disait : — « Allez… » — ils allaient, non pas seulement pour faits de guerre, mais pour toutes choses !… Voire ! ils n’étaient plus eux ; mais lui, diavol ! Le capitaine Loyola domptait hommes et femmes comme les chevaux… mêmes moyens, mêmes succès…

— Quels moyens ? Expliquez-vous, Joséphin…

— Imaginez qu’un jour on lui amène un sauvage étalon de Cordoue, un enragé, un démon, deux écuyers pouvaient à peine le maintenir à l’aide de longes attachées à son caveçon ; don Ignace fait conduire dans une petite cour fermée de tous côtés ce farouche animal, reste seul avec lui. Je me tenais en dehors, derrière la porte de la cour ; d’abord j’entends l’étalon hennir de fureur, puis de douleur, puis je n’entends plus rien. Au bout de deux heures, le capitaine Loyola sortait de la cour monté sur ce cheval, blanc d’écume, encore frissonnant de crainte ; mais aussi docile que la mule d’un curé…

— Voilà qui est étrange ! — reprit Christian. — Cet homme avait-il donc un charme magique pour dompter les chevaux ?