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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/135

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— Frère Saint-Ernest-Martyr ! au secours ! c’est moi ! Marie-la-Catelle… — s’écria la jeune veuve, reconnaissant le moine à la lueur des flambeaux ; — par pitié, ne m’abandonnez pas !

— Ah ! mes frères ! — s’écria le moine indigné en courant vers Marie, — celle que vous outragez est une sainte ! elle recueille les enfants abandonnés ; elle les instruit, elle est bénie de tous… Ne la violentez pas davantage.

— Si elle est sainte, je suis évêque… et de sainte à évêque, il n’y a que la main ! — répondit en éclatant de rire le marquis de Fleurange. — Elle aime, dis-tu, les enfants ; qu’elle s’ébaudisse, tête-Dieu ! car nous voulons…

— Vous me tuerez avant de parvenir jusqu’à elle ! — s’écria le moine en repoussant vigoureusement le marquis. Celui-ci, alourdi par l’ivresse, trébucha, sacrant et blasphémant, tandis que frère Saint-Ernest-Martyr, se précipitant au devant de la jeune veuve, toujours cramponnée à la croix, lui fit un rempart de son corps, croisa les bras sur sa poitrine, et, défiant du regard les seigneurs, leur dit : — Avancez !…

— Insolent frocard ! tu oses nous menacer, porter la main sur moi ! — s’écria, furieux, le colonel-évêque, quelque peu raffermi sur ses jambes ; et, tirant de son baudrier son épée au fourreau, il la prit à deux mains et frappa si violemment de sa pesante poignée le moine au front, que celui-ci, étourdi du coup, chancela, essaya en vain de s’appuyer à la croix, et tomba aux pieds de Marie-la-Catelle en poussant un gémissement plaintif.

Christian, malgré la prudence que lui commandait la sûreté de son hôte, ne put rester plus longtemps témoin impassible de ces brutalités ; il éprouvait pour la jeune veuve, dont il connaissait les vertus, un respectueux attachement, et craignait de voir exposé à un redoublement de mauvais traitements le moine qui venait de tenter si généreusement de secourir la victime de ces ivrognes. Christian poussa le volet de sa fenêtre, s’arma d’un gros bâton ferré, quitta sa