Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/171

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Christian devait l’attendre afin de le conduire au lieu du rendez-vous. La femme et la fille de l’artisan travaillaient devant leur métier de broderesse à la lueur d’une lampe, Brigitte songeant avec bonheur au touchant repentir dont Hervé s’était montré pénétré la veille, tandis que Hêna, rêveuse, laissait parfois son aiguille inactive ; son regard fixe se portait alors sans la voir sur sa broderie commencée ; alors aussi son sein virginal se soulevait oppressé sous sa gorgerette, et, profondément absorbée, la jeune fille restait étrangère à ce qui se passait autour d’elle. Neuf heures sonnèrent à l’horloge lointaine de la tour de Saint-Jacques-la-Boucherie.

— Neuf heures, — se dit Brigitte. — Christian m’a prévenue qu’il emmènerait Hervé avec lui afin que l’étranger eût quitté la maison avant le retour de notre fils ; il ne peut maintenant tarder à rentrer. Oh ! avec quelle joie je l’embrasserai ce soir !… de quel poids ses aveux ont ce matin allégé mon cœur !… cher, cher enfant, le voici pour toujours revenu à nous ! Ah ! je n’ai jamais mieux senti le prix de sa tendresse que depuis que j’en ai douté !… — Puis, s’adressant à Hêna sans quitter sa broderie du regard : — Béni soit Dieu ! chère fille, tu n’auras plus désormais à te plaindre de la froideur ou de la rudesse d’Hervé… non, non ! et lorsque notre petit Odelin sera de retour d’Italie, nous vivrons tous unis, heureux comme par le passé. Aussi, j’attends avec une double impatience l’arrivée de maître Raimbaud l’armurier, qui nous le ramènera, notre gentil Odelin. — Mais Brigitte, ne recevant aucune réponse de sa fille, leva les yeux vers elle et lui dit : — Hêna, Hêna, à quoi penses-tu donc ?

— Plaît-il, mère ? Pardon… je…

— Voilà déjà plusieurs fois, chère fille, que je t’adresse la parole, tu sembles ne pas m’entendre ?

— C’est vrai ; je m’étonne moi-même d’être si distraite.

— De cette distraction quelle est donc la cause, mon enfant ?

Hêna garda un moment le silence, sourit naïvement et répondit :

— Après tout, si singulier que cela soit, pourquoi, mère, ne te le