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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/181

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— Mon Dieu ! de quel air tu me dis cela, Hervé… tu parais fâché. Qu’as-tu donc ?

— Réponds… Tu aimes ce moine ?

— Certainement, de même que l’on aime ce qui est juste et bien… parce que je connais les belles et bonnes actions de frère Saint-Ernest-Martyr… Et toi-même, avant-hier encore, tu m’as raconté de lui un trait si touchant, que…

— Tu veux ruser avec moi.

— Je ne comprends pas ce reproche, Hervé…

— Tu penses continuellement à ce moine ?

— Continuellement, non… mais ce soir je disais à notre mère que je m’étonnais de penser à lui si souvent…

— Ainsi, tu l’avoues ?…

— Pourquoi te cacherais-je ma pensée, puisque je l’ai confiée à notre mère ?

— Hêna, suppose que nos parents songent à te marier, que ce jeune moine, au lieu d’être religieux, soit libre, puisse enfin devenir ton mari, et qu’il t’aimât… l’épouserais-tu ?

— Quelle folle supposition !

— Enfin, admets-la. S’il n’était pas moine, s’il t’aimait, si nos parents consentaient à ce mariage, tu épouserais cet homme avec joie ?…

— Cher frère, tu me fais là des questions…

— Avoue-le… tu l’épouserais ? — répéta Hervé d’une voix sourde, attachant sur sa sœur un regard jaloux et féroce qu’elle ne put remarquer, car la broderie dont elle s’occupait l’aidait à cacher l’embarras où la jetait le singulier interrogatoire qu’elle subissait ; mais sa loyauté naturelle reprenant le dessus, Hêna, rougissant, répondit sans lever les yeux sur son frère :

— Pourquoi n’épouserais-je pas avec joie un homme de bien, si nos parents consentaient à ce mariage ?

— Il est donc vrai ! tu aimes ce moine ! oui, tu l’aimes d’amour !