Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/19

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son esprit astucieux, subtil et tenace, il voulut tout accomplir par lui-même, et se passer de conseillers ; il voyait en eux des traîtres ou des incapables. Son modèle était Pierre Sforza, devenu tyran de Lombardie par la fourberie, l’audace, la trahison et d’implacables cruautés ; Louis XI n’avait point à usurper un trône, mais à défendre le sien de l’envahissement des princes du sang et des grandes seigneuries. À ce but il marcha droit, résolu de l’atteindre par tous les moyens, depuis la flatterie qui séduit, la ruse qui divise, jusqu’au meurtre qui vous débarrasse d’un ennemi redoutable.

Louis XI apprend la mort de son père ; sans dissimuler sa joie parricide, il quitte aussitôt la cour du duc Philippe de Bourgogne et va se faire sacrer à Reims. Une seule idée le préoccupe tout d’abord : détruire la puissance des princes du sang, des grands vassaux, éternels rivaux de la royauté, et achever ainsi l’œuvre commencée par Charles VII. Les maisons princières de France, depuis l’expulsion des Anglais, semblaient devenues presque aussi indépendantes de la couronne qu’au beau temps de la féodalité ; les comtes d’Albret, de Foix, d’Armagnac, les ducs de Bretagne, de Bourgogne et d’Anjou, souverains dans leurs provinces, reconnaissaient à peine la suzeraineté du roi de France, accablaient d’impôts les villes et les campagnes. Louis XI, despote cupide, entreprit de rester seul maître, seul exacteur de ses peuples. Habile et dissimulé, il feignit d’abord de s’appuyer sur les bourgeoisies, connaissant leur haine invétérée contre les seigneuries ; il affecta de s’entourer de petites gens. Sobre, avare, ennemi du luxe des cours, parce que la royauté payait toujours ce luxe, n’ayant qu’une passion : la chasse ; sordide dans ses vêtements, vêtu d’une casaque grise, coiffé d’un vieux chapeau orné de reliques de plomb, chaussé de gros houseaux de voyage, il plut d’abord aux bonnes gens par sa simplicité goguenarde et familière ; il voulait, disait-il, rendre aux villes leurs franchises, abolir les taxes les plus pesantes. En effet, il sembla tout d’abord fidèle à ses promesses, à en juger du moins d’après sa parcimonie : à la cour, plus de fêtes,