Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/270

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Hêna, penchant son front sur l’épaule de son père, fondit en larmes ; il fit un léger mouvement en arrière afin de dégager le visage éploré de sa fille, qu’il tenait toujours assise sur ses genoux, enlacée de ses bras, et le cœur palpitant d’espérance :

— Mon enfant, je n’ai jamais fait en vain appel à ta sincérité ; telle est, n’est ce pas, la cause secrète de tes pleurs : « Hélas !… pourquoi faut-il que frère Saint-Ernest-Martyr soit un prêtre catholique !… »

— C’est la vérité, mon père… telle est ma pensée… je me la reproche ; ce regret est insensé…

— Insensé… pourquoi ?…

— Frère Saint-Ernest-Martyr, fût-il pasteur de l’Église réformée, ignorera toujours, doit toujours ignorer mon amour… devant toi seul, mon père, et devant Dieu, je peux faire cet aveu sans rougir… — Puis, voulant mettre terme à un entretien qui la désolait, la jeune fille ajouta : — De grâce ! parlons de cette heureuse nouvelle que tu étais si empressé de m’apprendre…

— Soit, chère enfant… seulement, afin de ne plus revenir sur un sujet douloureux pour toi… je t’apprendrai que frère Saint-Ernest-Martyr, ou plutôt Ernest Rennepont, afin de lui rendre son véritable nom, se sépare du catholicisme pour embrasser la réforme…

— Lui !…

— Dans peu il sera élu l’un des pasteurs de l’Église évangélique…

— Lui, mon père !… — Et Christian sentit Hêna trembler convulsivement sur ses genoux ; elle porta ses deux mains à son visage, où de nouveau ruisselèrent des pleurs.

— Pauvre chère enfant ! — reprit l’artisan, contenant à peine sa joie, — encore un aveu que j’attends de ta franchise habituelle… tu te dis, n’est-ce pas : « Ernest Rennepont abjure ses vœux… le voici libre… ah ! s’il m’avait aimée !… »

— Père, bon père, par pitié, laissons ces pensées… si tu savais, mon Dieu ! ce que je souffre !…