Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/272

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ment impressionnée en voyant tout d’abord son fiancé près d’elle… Veuillez attendre pendant un instant, et je pourrai vous appeler sans danger.

En effet, quelques mouvements d’Hêna, le léger incarnat dont ses joues se coloraient peu à peu, annoncèrent bientôt que la connaissance lui revenait ; ses yeux s’ouvrirent demi-clos, elle tourna vers son père, toujours agenouillé à son chevet, sa tête alanguie ; puis, attachant sur lui un regard fixe, à demi voilé, elle parut interroger ses souvenirs confus.

— Non, ce n’est pas un rêve, — dit l’artisan, devinant la pensée de sa fille, — non, fille chérie, tu n’es pas le jouet d’une illusion… Ernest Rennepont renonce à la vie monastique, il embrasse la religion évangélique, dont il sera pasteur ; il t’aime depuis longtemps du plus pur, du plus noble amour. J’ai surpris le secret de son âme ; et, crois-moi, jamais père n’a pu désirer pour sa fille un époux plus digne d’estime et d’affection… — Puis, indiquant du geste la porte voisine : — Il est là, accompagné de notre ami M. Estienne ; te sens-tu maintenant assez vaillante pour les recevoir tous deux, pauvre chère enfant ?…

— Il m’aime ! — reprit Hêna en prenant les mains de son père et les baisant ; — il m’aime aussi !… et depuis longtemps ?…

— Oui, oui… mais il te dira cela mieux que moi… — ajouta Christian avec un sourire d’ineffable bonheur. — Il est là ; veux-tu qu’il vienne ?

Hêna, de couchée qu’elle était sur le lit, s’assit, plaça l’une de ses mains sur son cœur pour comprimer la violence de ses battements, et encore trop émue pour parler, elle fit à son père un signe de tête affirmatif ; l’artisan introduisit alors dans la chambre M. Robert Estienne, sur le bras de qui s’appuyait, chancelant, Ernest Rennepont. À ce moment, l’on entendit au dehors, du côté de la cour, les pas d’un cheval ; Christian, cédant à un mouvement d’inquiétude involontaire, courut à la fenêtre et se rassura en reconnaissant son