Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/309

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la royale estrade s’élevait une étrange construction, auprès de laquelle se rangèrent les religieux Mathurins : imaginez, fils de Joel, un amoncellement de fagots de quinze à vingt pieds de largeur, sur une hauteur de six à sept pieds. Autour de ce bûcher sont dressées six machines, composées d’une poutre perpendiculaire, scellée en terre, soutenant, enclavé à son faîte et pouvant basculer dans une mortaise, un autre madrier transversal, d’une grande longueur ; à l’une de ses extrémités, suspendu par des chaînes au-dessus du bûcher, est un siège à dossier et à marchepied, semblable à ceux des escarpolettes ; l’autre extrémité de la poutre transversale, garnie de poulies et de cordes, repose sur le sol.

Le franc-taupin contemplait ces instruments de torture avec une sinistre curiosité, sentant le bras d’Odelin, appuyé sur le sien, trembler convulsivement. Le supérieur des Mathurins, souriant d’un air satisfait et mystérieux, dit à Joséphin :

— Mon cher frère, vous ne devinez peut-être point comment fonctionnent ces machines destinées au supplice des hérétiques ?

— Non… mon frère… je ne devine point.

— C’est une invention due, dit-on, au génie novateur du roi, notre vénéré sire, à qui les tortionnaires doivent déjà la roue destinée aux faux-monnoyeurs[1]. On inaugure pour la première fois aujourd’hui dans la bonne ville de Paris ces nouvelles machines, qui attirent votre attention… Voici comment l’on procède, rien de plus simple : le bûcher est, je suppose, bien flambant, n’est-ce pas ? l’on enchaîne le patient sur ce siège que vous voyez suspendu à l’extrémité de ce madrier, puis, au moyen d’un mouvement de bascule imprimé à l’autre bout du levier, l’hérétique est alternativement plongé dans les flammes, et retiré du brasier pour y être encore replongé, et ainsi de suite, de plongeons en plongeons, jusqu’à ce que mort s’ensuive… Comprenez-vous ?…

  1. De Thou, Hist. franç., l. I, p. 274.