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les délivrer de la peine due à leurs péchés, en tirant, et offrant à Dieu de ce trésor, autant qu’il en faut pour satisfaire à cette dette. (P. 6.)

» Il faut avouer, néanmoins que, comme l’on peut abuser des choses les plus saintes, et le plus saintement établies, il s’est aussi glissé, de tout temps, d’assez grands abus dans la distribution de ces grâces de l’Église, ou de ces indulgences…

» Celuy qui remplissoit alors (1517) depuis environ cinq ans le siège de saint Pierre, estoit Léon X, de la très-illustre maison de Médicis, duquel on peut dire fort véritablement : qu’ayant esté élevé par la faction des jeunes cardinaux à cette dignité suprême de l’Église, à l’âge de trente-sept ans, il y fit éclater toutes les perfections d’un grand prince, sans avoir toutes celles d’un grand pape ; or, comme son inclination naturelle le portoit à tout ce qu’il y avoit de grand et de magnifique, il avoit entrepris d’achever le superbe édifice de la basilique de Saint-Pierre, et de remplir son épargne épuisée par ses dépenses excessives, beaucoup plus dignes d’un puissant monarque de la terre que d’un pontife, il eut recours, à l’exemple du pape Jules II, aux indulgences qu’il fit publier par toute la chrétienté. (P. 9.)

» Il y a des auteurs qui assurent que l’on mit en quelque manière ces indulgences en parti (en ferme), et que, pour avoir promptement de l’argent comptant, on afferma tout ce que l’on en pouvoit tirer à ceux qui en donnoient le plus, et qui ensuite, non-seulement pour se rembourser, mais aussi pour s’enrichir par un commerce si honteux (p 9), faisoient choisir des prédicateurs d’indulgences et des questeurs, qu’ils croyoient les plus propres (étant bien payés) à faire en sorte que le peuple, pour gagner ces pardons, contribuast tout ce que ces avares et sacrilèges partisans en prétendoient tirer. (P. 10.)

» Quelques-uns de ces prédicateurs ne manquèrent pas aussi de leur costé, comme il arrive assez souvent, d’outrer le sujet qu’ils traitoient, et d’exagérer tellement le prix et la valeur des indulgences, qu’ils donnèrent occasion au peuple de croire : qu’on estoit assuré de son salut, et de délivrer les âmes du purgatoire aussitôt qu’on avoit donné l’argent qu’on demandoit pour les lettres qui témoignoient qu’on avoit gagné l’indulgence ; ce qui causa sans doute du scandale. Mais ce qui l’augmenta beaucoup, et qui poussa plus d’une fois exciter de grands troubles parmi le petit peuple, fut qu’on voyoit les commis de ces partisans qui avoient acheté le profit de ces indulgences, faire tous les jours grande chère dans les cabarets, et employer en toutes sortes de débauches une partie de cet argent, que les pauvres disoient leur être cruellement ravi, puisqu’on faisoit, par cette espèce de trafic et de vente des indulgences, une grande diversion des aumônes qu’on leur eust faites. » (P 10-12.)

Nous avons entendu le père Louis Maimbourg ; écoutons maintenant un autre écrivain ecclésiastique, de qui la parole a toujours fait loi dans l’histoire de l’Église.

Nous lisons, dans l’Histoire ecclésiastique de M. l’abbé Fleury, t. XXV, depuis l’an 1508 jusqu’en 1560 : (Paris, 1729, in-4o.)

« Léon X, qui aimait la dépense, ne trouvoit ni dans les revenus de l’État ecclésiastique, ni dans ceux qu’il recevoit des autres provinces chrétiennes, de quoi se satisfaire ; il fut donc obligé d’avoir recours à des voyes extraordinaires ; il accorda à tous ceux qui voudroient contribuer à l’édifice de Saint-Pierre, des indulgences à des conditions si aisées, qu’il auroit fallu n’être guère soigneux de son salut pour ne le pas gagner. (P. 476.) Cependant, afin d’établir quelque ordre dans la levée de l’argent qui devoit en provenir, toute la chrétienté fut divisée en divers départements, et l’on établit dans chacun des collecteurs pour recevoir l’argent ; de plus, on fit choix de certains prédicateurs qui étoient chargés d’instruire le peuple de la vertu des indulgences et des dispositions nécessaires pour les gagner.

» … Ces prédicateurs (les dominicains) furent accusés d’outrer la matière, de trop exagérer le pouvoir des indulgences, et d’énerver entièrement les travaux de la pénitence, en sorte qu’ils estoient soupçonnés de persuader au peuple qu’on estoit assuré de son salut, aussitôt qu’on auroit compté l’argent nécessaire pour gagner l’indulgence. De plus, ces prédicateurs faisoient un trafic honteux de ces sacrés trésors de l’Église ; ils tenoient leurs bureaux dans des cabarets où l’on voyoit que les trésoriers consumoient en débauches une partie de l’argent qu’ils recevoient. » (P, 489.)

Indigné de cet odieux trafic, Luther, le premier, jeta le cri de réforme. Il eut, en Europe, un foudroyant écho ; cependant Léon X maintint et soutint l’orthodoxie de son commerce d’indulgences. Citons encore :

« Léon X publia le neuvième de décembre un décret en faveur des indulgences, et l’adressa au cardinal Caïetan. Il y déclare : que la doctrine de l’Église romaine, maîtresse de toutes les autres, étoit que le souverain pontife, successeur de saint Pierre, et vicaire de Jésus-Christ, avoit le pouvoir de remettre, en vertu des clefs, la coulpe et la peine des péchés : la coulpe par le sacrement de pénitence, et la peine temporelle, due pour les péchés actuels à la justice divine, par le moyen des indulgences ; qu’il les peut accorder pour de justes causes aux fidèles qui sont les membres de Jésus-Christ ; que leur utilité ne s’étendoit pas seulement aux vivants, mais encore aux fidèles décédés