Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/68

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ou patibulaires, presque tous rôdeurs ou rôdeuses de nuit, ou pire encore, accompagnaient ce cortège, se tenant par le bras, dansant, se signant de temps à autre et hurlant :

— Gloire au saint-père !

— Il nous envoie des indulgences !

— Nous en avons besoin !

— Béni soit-il !

Puis ils échangeaient à voix haute des plaisanteries grossières ou obscènes, empreintes cependant d’une foi sauvage aux plus déplorables superstitions. Grand nombre de citadins habitant les maisons bâties sur le pont avaient ouvert leurs fenêtres au passage de la procession ; quelques-uns d’entre eux s’étaient agenouillés pieusement dans l’intérieur de leur logis. Christian, lorsque le bruit se fut éloigné, referma la croisée de sa chambre et, de plus en plus attristé, dit à sa femme :

— Hélas ! cette procession est pour moi d’un désolant à-propos…

— Je ne te comprends pas, mon ami.

— Brigitte, tu as vu sur le transparent porté par le chariot que conduisaient les moines, une peinture représentant les âmes du purgatoire se tordant au milieu des flammes ?

— Oui, je l’ai vue.

— Les moines dominicains délégués par le pape à la vente des indulgences plénières vendent en outre le rachat des âmes en peine.

— On le dit.

— Ainsi, ceux-là qui partagent cette croyance sont persuadés que, moyennant argent, ils arrachent aux flammes du purgatoire, non-seulement ceux de leurs proches ou de leurs amis qu’ils supposent exposés à ce supplice, mais aussi des inconnus. Hervé n’a-t-il pas pu se dire : « Avec l’or dérobé à mon père, je rachèterai vingt âmes… cinquante âmes du purgatoire… »

— N’achève pas, Christian ! — s’écria Brigitte en frémissant. — Mes doutes deviennent presque des certitudes… — Mais, s’in-