Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/84

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Un long murmure d’épouvantable espérance accueillit ces paroles du trafiquant d’indulgences ; un horizon sans borne s’ouvrait à des forfaits inouïs… Hervé, entre autres, suspendu aux lèvres du dominicain, éprouvait une sorte de vertige, il se croyait sous l’obsession d’un rêve ; il fut rappelé à la réalité par la voix caverneuse de fra‑Girard, qui lui dit tout bas avec un accent de triomphe :

— Faire violence à la sainte mère de Dieu ! et l’on serait pardonné !… Tu entends ! tu entends !…

Hervé tressaillit de tout son corps, ne répondit rien, cacha son visage entre ses mains ; mais bientôt, chancelant comme un homme ivre, il sentit ses genoux se dérober sous lui, et fut obligé de s’appuyer sur le bras du cordelier, qui le contemplait avec une expression de joie infernale.

Le trafiquant d’indulgences s’était un moment interrompu après son abominable proposition, afin de mieux en assurer l’effet ; il reprit d’une voix de stentor :

« — Vous frémissez, mes frères ! tant mieux, cela prouve que vous comprenez l’horreur du sacrilège que je vous cite pour exemple ! or, tant plus le sacrilège est horrible, tant plus est souveraine la vertu de mes indulgences, puisqu’elles pourraient l’absoudre ! Oui, mes frères, vous auriez voulu faire violence à la mère du Sauveur, toujours vierge, et vous auriez pu accomplir ce sacrilège… qu’en payant… mais en payant largement mes indulgences, vous seriez pardonnés… Cela est plus clair que le jour[1] ! puisque le Seigneur, Notre-Seigneur Dieu, n’est plus Dieu, en cela qu’il a remis tous ses pouvoirs au pape… Mais pourquoi, direz-vous,

  1. Quoique nous ayons cité ce fait monstrueux dans notre introduction, nous croyons devoir citer de nouveau textuellement :
    …...…Sub commissariis insuper ec prædicatoribus veniarum imponere ut si quis, per impossibile, Dei genitricem, semper virginem, violasset quod, cumdem indulgentiarum vigore absolvere posset luce clarius est… (Positiones fratris J. TEZELII, quibus defendit indulgentiæ contra Lutherum. Thèse 99-100-101). Ap. Merle d’Aubigné, Histoire de la Réforme au XVIe siècle.