Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/102

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ques lui ont donné le surnom du Borgne. Autour de lui se sont réunis, depuis le commencement de cette nouvelle guerre, ceux-là chez qui le ressentiment de la perte d’objets chers à leur tendresse a étouffé toute pitié ; ils ont juré de se venger par de légitimes et implacables représailles, malgré l’opposition de l’amiral de Coligny, de Lanoüe et des autres généraux protestants, qui regrettaient de voir ainsi pratiquer la terrible loi du talion ; mais la volonté des chefs devenait souvent impuissante en face d’une armée presque entièrement composée de volontaires. Les Vengeurs d’Israël se montraient d’ailleurs d’une intrépidité sans égale, réclamant les postes les plus périlleux, et toujours des premiers au combat ; l’indomptable courage du franc-taupin, sa rare intelligence de la guerre de partisans, sa haine impitoyable contre les catholiques, sur lesquels il avait juré de venger sa sœur Brigitte et sa nièce Hêna, lui avaient valu le commandement de ces hommes redoutés. Ce jour-là, au lever du soleil, il préside une sorte de tribunal, composé de plusieurs de ses compagnons d’armes et siégeant au milieu des ruines de la chapelle de Saint-Hubert. Les années ont complètement blanchi la chevelure et la barbe du franc-taupin sans diminuer sa vigueur et son énergie ; il porte un vieux morion d’acier couvert de rouille, comme son corselet de fer ; ses chausses bouffantes, de drap rouge, sont à demi cachées par de grandes bottes de cuir poudreuses ; à sa bandoulière, contenant ses cartouches, est suspendu par une ficelle un court bâton de bois blanc entaillé de nombreuses coches ; elles s’élèvent au nombre de dix-sept : chacune d’elles marque la mort d’un prêtre ou d’un moine ; la dague de fin acier de Milan, présent d’Odelin adolescent, pend au côté droit du franc-taupin, et à son côté gauche une longue épée à poignée de fer. Ses traits bronzés, décharnés, rendus plus sinistres encore par le large emplâtre noir qui couvre son œil crevé, expriment en ce moment une cruauté sardonique ; il procède au jugement d’un cordelier, homme de haute et robuste taille, arrêté à l’aube dans les bois voisins, où il se cachait. Quelques lettres trouvées sur lui prou-