Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/109

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La fille d’honneur, agenouillée, s’affaisse sur elle-même, cache son visage entre ses mains et pousse des sanglots étouffés. Les huguenots, à cette accusation foudroyante, « empoisonneuse, » lancée par leur chef, se regardent avec stupeur ; un nouveau silence se fait, seulement interrompu par les gémissements d’Anna-Bell et la voix sépulcrale du moine qui, dans le délire de la terreur, répète : Miserere mei, Domine… Miserere ! !

le franc-taupin. — Frères… écoutez la lecture de cette lettre que vous venez de saisir dans la poche de cette femme.

« Un courrier de mon fils Charles arrive de Paris, chère mignonne, et m’oblige de conférer à l’instant avec M. le cardinal ; je ne peux te voir ce soir avant ton départ. Adieu, bon courage ; tu viendras à bout de ton prince… J’oubliais une recommandation importante : il faut verser le philtre tout aussitôt après avoir débouché le flacon. »

Les Vengeurs d’Israël jettent une exclamation d’horreur. Le franc-taupin ajoute : — Cette lettre est signée C. M., Catherine de Médicis !… Comprenez-vous ?… La reine envoie une de ses prostituées empoisonner Frantz de Gerolstein… Cette misérable s’est, à dessein, jetée dans nos avant-postes, comprenez-vous ?… On croit le prince allemand d’un naturel amoureux. La fille d’honneur, jeune et belle, demande instamment à être conduite près de lui… Elle a son poison en poche, et comme dit la lettre de l’Italienne : Bon courage ! l’empoisonneuse doit venir à bout du prince ! Comprenez-vous, Vengeurs d’Israël… Et, maintenant, dites quel supplice mérite un tel crime ?

Les huguenots, encore sous l’impression du lâche assassinat de Condé, des récents empoisonnements du duc des Deux-Ponts et du frère de l’amiral de Coligny, éclatent en imprécations ; la jeunesse, la beauté de la fille d’honneur, rendent à leurs yeux ses criminels desseins plus exécrables encore. Malgré les terribles apparences qui pèsent sur elle, Anna-Bell veut cependant tenter un dernier effort pour échapper au sort dont elle est menacée ; elle se dresse sur ses