Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonnier ; la lanterne, placée sur le sol, jetait de bas en haut sa vive lumière, coupée d’ombres noires et dures sur les traits cadavéreux, ascétiques, décharnés, de fra‑Hervé ; son large front chauve, jaune et crasseux, était à demi caché par un bandeau de toile ensanglanté ; le sang de cette blessure avait coulé, puis séché sur une de ses joues osseuses, se coagulant dans sa barbe épaisse ; son froc brun, usé, rapiécé en vingt endroits, est ceint d’une corde à laquelle pend un chapelet de balles d’arquebuse, terminé par une petite croix de plomb ; des éperons de fer rouillé sont attachés par des lanières de cuir à ses pieds fangeux, chaussés de sandales ; fra‑Hervé, ne pouvant distinguer la figure de son frère, abritée sous le capuchon de sa casaque, tourne lentement la tête vers lui, avec une expression de sombre dédain, s’agenouille et dit d’une voix caverneuse : 


— C’est la mort ?… Je suis prêt…

Le cordelier, inclinant alors son grand front chauve, en élevant ses deux mains garrottées vers la voûte du cachot, murmure tout bas la funèbre invocation des agonisants. Odelin ramène en arrière son capuchon, prend le fallot, l’élève, de sorte que ses traits sont vivement éclairés. — Mon frère, — dit-il au moine avec un accent qui trahissait sa profonde émotion, — regardez-moi… je suis Odelin Lebrenn !

Fra‑Hervé, toujours agenouillé, se rejette en arrière, examine pendant quelques instants le visage d’Odelin, rassemble ses souvenirs, le reconnaît… soudain un éclair de haine illumine ses yeux caves ; ils étincellent dans l’ombre de leurs profonds orbites, un sourire infernal crispe ses lèvres blêmes, il s’écrie : — Dieu t’envoie ! je cracherai la vérité à ta face d’apostat ! Oh ! que ton père n’est-il là…

— Respectez sa mémoire… notre père est mort !

— Dans l’impénitence ?

— Il est mort dans sa foi !

— Il est mort damné ! — répond Fra‑Hervé avec un éclat de joie féroce, — à jamais damné ! ce corrupteur de mon enfance ! ce lé-