Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/154

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en présence de tous les soldats de notre camp ; l’avis de mon fils a prévalu, vous avez été amené ici, dans ce caveau dépendant du prieuré occupé par M. l’amiral de Coligny, qui, grâce à Dieu, a aujourd’hui échappé au poison… à un nouveau et abominable crime…

— Empoisonner les loups… un crime ?

— Je ne discute pas avec un fou furieux… Donc on vous a conduit ici ; mon fils est venu tout à l’heure m’instruire de votre capture et de son désir de vous sauver… Le désir, je le partage… puisque le malheur veut que nous soyons fils du même père… sinon j’aurais laissé votre destinée s’accomplir… Votre religion vous ordonne de me tuer, la mienne m’ordonne de vous sauver… vous, Hervé, mon frère…

— Prends garde, apostat… prends garde…

— Je vais délier vos mains, vous endosserez cette casaque, vous rabaisserez le capuchon sur votre visage ; mon fils est votre seul gardien ; il a proposé au factionnaire placé près de cette porte de le remplacer ; cette offre a été acceptée ; nous allons sortir de ce caveau ; la mante rocheloise que vous porterez cachera votre froc et éloignera tout soupçon ; vous me suivrez ; je suis connu des gens et des soldats que nous pourrons rencontrer en traversant le vestibule et la cour de la maison de l’amiral. J’espère ainsi, à la faveur du déguisement que je vous apporte, assurer votre fuite… Ce devoir sacré pour moi, je l’accomplis au nom de nos parents qui ne sont plus…

— Ô Dieu vengeur ! — s’écrie fra‑Hervé avec une exaltation farouche, — toujours tu frappes, dans ta colère, tes ennemis d’aveuglement ! ils brisent eux-mêmes les chaînes de leurs immolateurs !… — Et tendant à son frère ses bras garrottés, le moine ajoute : — Vil instrument du roi des rois ! délivre ces saintes mains de leurs liens ! elles ont encore à moissonner le champ sanglant de l’hérésie !

Odelin, calme et triste, délie les mains de fra‑Hervé. À peine celui-ci a-t-il retrouvé la liberté de ses mouvements que, lançant à son frère un regard de tigre, il recule de deux pas en arrière, saisit