Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/177

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l’artillerie. Le champ de bataille nous restait ; le franc-taupin, aidé de ses compagnons, creusa pieusement une fosse où fut enseveli mon père. J’appris plus tard, par le prince de Gerolstein, le triste sort de ma sœur, et je retrouvai la lettre qu’elle avait écrite à mon père. L’infortunée, se croyant méprisée, abandonnée de nous, était, disait-elle, décidée à mourir, et nous adressaıt des adieux navrants ; voulant éclairer mon père et ses coreligionnaires sur les ténébreux et sanglants projets de Catherine de Médicis, Anna-Bell rapportait dans sa lettre le secret entretien de la reine et du père Lefèvre au sujet des réformés (entretien surpris par Anna-Bell lors de son séjour au monastère de Saint-Séverin). Après nous avoir ainsi témoigné son attachement jusqu’à la fin, elle obtint de l’un des pages du prince d’endosser les habits et de monter le cheval de l’adolescent tué dans le combat du matin ; elle espérait trouver la mort près de Frantz de Gerolstein : hélas ! son vœu fut exaucé. Elle rejoignit le prince ; celui-ci, aussi surpris qu’alarmé de son dessein, la supplia vainement de se retirer un moment avant le choc des deux corps de cavalerie. Ni Anna-Bell ni Frantz ne furent blessés à cette première rencontre ; mais peu d’instants après, les reîtres traversant une seconde fois la rivière pour poursuivre la cavalerie ennemie, Anna-Bell, frappée d’une balle au cœur pendant ce nouvel engagement, tomba de cheval dans la rivière où elle se noya, sans que le prince de Gerolstein, entraîné par l’impétuosité du combat, pût revenir sur ses pas et tenter de sauver ma sœur. Enfin, le colonel de Plouernel, instruit par mon récit de la double lutte de son frère le comte de Neroweg et de son fils Odet contre mon père et moi, apprit plus tard que tous deux, succombant aux suites de leurs blessures, le laissaient chef de sa maison et seul héritier de ses immenses domaines.


Les protestants, victorieux à La Roche-la-Belle, éprouvèrent une cruelle défaite au mois de septembre de cette même année 1569.