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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/205

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dit la veuve d’Odelin.— Estienne de la Boétie, mort il y a dix ans à peine, n’a-t-il pas vu trois fois les protestants courir aux armes pour défendre leur foi ?

— Sœur, — reprend le capitaine Mirant, — le peuple entier a-t-il couru aux armes ? Hélas ! non ; la majorité, la masse, aveugle, ignorante et misérable, dominée par les moines, ne s’est-elle pas toujours, à leur voix, ruée sur les hérétiques avec une rage fanatique ? Et parmi nous-mêmes, n’est-ce pas seulement le petit nombre qui pense, ainsi que le pensait si sagement Christian l’imprimeur, père de ton mari, que la liberté de conscience dépendant du bon vouloir des rois, complices éternels de l’Église, l’on ne conquerra jamais d’une manière durable ni cette liberté, ni les autres, tant qu’existera la royauté ?… La majorité des protestants, l’amiral de Coligny, ne témoignent-ils pas de leur respect, de leur dévouement, sinon pour les rois, du moins pour la monarchie ? Ne la mettent-ils pas en dehors et au-dessus des guerres religieuses ?… Sœur, le livre dit vrai : la masse du peuple, avilie, hébétée, dégradée par une ignorance, un servage et une misère séculaires, ne sent pas le mal de la servitude ! S’ensuit-il que cette maladie soit incurable, mortelle ? Non ! non ! en cela, j’espère mieux de l’humanité que la Boétie… L’histoire, d’accord avec les chroniques de la famille de ton mari, prouve qu’un lent et mystérieux progrès s’accomplit à travers les âges ; les serfs ont remplacé les esclaves ; les vassaux ont remplacé les serfs… et un jour, le vasselage disparaîtra comme ont disparu esclavage et servage !… Enfin, les guerres religieuses de notre siècle sont un pas de plus vers l’affranchissement… la révolte contre le trône suivra de près la révolte contre l’Église… Mais, hélas ! que d’années encore avant l’aurore de ce beau jour prédit par Victoria-la-Grande… ainsi que dit votre légende !

— Ah  ! — dit Antonicq,— le génie de la tyrannie est si fécond en infernales ressources pour assurer son empire ! Tenez, mon oncle, vous avez été, comme moi, frappé du nombre infini de fêtes publi-