Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/259

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nument municipal, dont nous autres Rochelois nous sommes si justement fiers, se compose d’un vaste corps de logis, flanqué de deux pavillons à toits aigus. Sa façade principale, ornée de vingt-sept consoles très-rapprochées, dont le triple renflement disparaît sous des guirlandes de feuilles et de fruits ciselés, fouillés dans la pierre avec un art incroyable, est surmontée d’une terrasse crénelée, aux frètes décorées d’un riche enroulement d’acanthe ; au-dessus de chacun des deux pavillons, s’élance dans les airs un beffroi d’une merveilleuse richesse architecturale ; celui de gauche offre aux yeux étonnés une cage de fer doré, non moins admirablement forgée que son dôme, découpé à jour aussi délicatement que peut l’être une dentelle et soutenu par trois colossales figures de pierre. Il faut renoncer à décrire la profusion de gargouilles qui semblent saillir des murailles de l’édifice, et représentent des sphinx, des chimères d’un dessin rempli de hardiesse et de grâce ; il faut renoncer à décrire les festons de pierre qui brodent le monument de sa base à son faîte, les enroulements infinis de feuillage ou de fleurs qui grimpent le long des nervures ogivales, des portes, des fenêtres, embrassent leurs linteaux, se tordent autour de leurs piliers, de leurs colonnettes, et couronnent leurs chapiteaux ; innombrables sculptures fleuries, touffues, épanouies, charmantes, pareilles à une végétation luxuriante, soudain pétrifiée par un pouvoir magique. Cette imparfaite description peut seulement donner une idée de la beauté matérielle de l’Hôtel de ville de La Rochelle ; mais il avait, si cela se peut dire, une âme, un souffle, une voix ! C’était l’âme vaillante, le souffle puissant, la voix patriotique de la commune, qui semblaient animer le corps de pierre de l’antique édifice : là, surtout depuis la guerre, et de même que la vie se concentre dans le cœur, se concentrait la vie de la cité ! tout partait de là, tout aboutissait là, parce que la siégeait le pouvoir souverain de cette République urbaine[1], repré-

  1. « Dans le passe-port accordé par le duc d’Anjou, les Rochelois étaient qualifiés de rebelles. Cette expression offensa la délicatesse des fiers Républicains qui formaient le conseil. Le duc d’Anjou fut obligé d’expédier un autre passe-port. » (Hist. de La Rochelle, par Arcère, de l’Oratoire, p. 417. La Rochelle, 1756, 2 vol. in‑4°.)