Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/282

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de nouveau voile vers la passe… Le premier qui s’avance, ayant à sa remorque le navire démâté, ouvre le feu contre les redoutes royalistes… Non, non, les canons du capitaine Mirant ne sont pas devenus muets !…

En effet, le brigantin remorqueur donna intrépidement dans la passe, en faisant de chaque bord feu de son artillerie et de son arquebuserie ; les redoutes ennemies, et surtout celle de Chef de Baie, la plus redoutablement armée des deux, répondirent aux bordées du brigantin. Mais soudain un cri d’effroi soulève toutes les poitrines ; le navire remorqué se couvre d’une épaisse fumée, déjà rougie çà et là par des lueurs enflammées.

— Les royalistes ont tiré à boulets rouges ! — s’écrie Cornélie, abusée sur la cause de l’incendie du bâtiment remorqué. — Le vaisseau démâté va sauter… ce sera la perte de celui qui le traîne à sa suite, et où peut-être se trouve mon père !

L’angoisse des Rocheloises redouble ; leur attention, captivée par ce qui se passait à l’entrée de la baie, ne leur permet pas de remarquer le nombre croissant de soldats catholiques qui, sans bruit, s’embusquaient derrière les rochers de la plage… Tout à coup l’écho de ces rochers répéta, comme autant de tonnerres, le retentissement d’une effroyable explosion… le brigantin démâté, chargé d’une provision de poudre, sautait après avoir été incendié, non par l’ennemi, mais par le capitaine Mirant ; et, en sautant, il démantelait en partie la redoute de Chef de Baie, de sorte que grand nombre des soldats et des canonniers qui la défendaient périssaient écrasés sous les ruines de leur batterie, selon les prévisions de l’habile et intrépide marin. Telle avait été sa manœuvre : voyant l’un de ses bâtiments mis hors d’état de continuer sa marche, il le prit à la remorque, vira de bord, afin d’éloigner pendant quelques moments sa flottille de la portée des canons ennemis, garnit de matières inflammables le navire démâté, y laissa les poudres, transborda les matelots qui le montaient, revint alors, toutes voiles dehors, pour forcer l’entrée de la