Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/290

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avec toi, hérétique endiablée, si fra‑Hervé ne m’avait promis l’absolution !

Et le prince, se soulevant du lit de repos, tend ses deux bras à Cornélie ; elle s’approche, se courbe, puis, par un mouvement plus rapide que la pensée, elle saisit de sa main gauche le duc d’Anjou aux cheveux et sort brusquement des plis de l’écharpe sa main armée d’une petite dague très-acérée, dont elle frappe violemment le prince à l’endroit du cœur en s’écriant : — Meurs, bourreau de mes frères !…

Le duc d’Anjou portait sous son pourpoint une maille d’acier si finement tissue, si fortement trempée, que la dague se brise sous le coup furieux asséné par Cornélie. Elle reste stupéfaite, tandis que le prince s’écrie d’une voix glapissante : — À moi !… à l’aide !… au meurtre !…

À ces cris, au bruit de la lutte, le marquis de Montbar et plusieurs seigneurs de la domesticité royale s’élancent de la pièce voisine où ils se tenaient d’habitude, se précipitent dans l’oratoire, saisissent Cornélie par les poignets, tandis que le prince, à peine délivré de l’étreinte de la jeune fille, court, livide, éperdu, à son prie-Dieu, s’y agenouille, et les lèvres blêmes, frissonnantes, les dents claquant de terreur, il balbutie : — Dieu tout-puissant, grâces te soient rendues !… tu as protégé… ton serviteur indigne !… — Puis, courbant le front jusqu’au sol et se frappant la poitrine : — Meâ culpâ… meâ culpâ… meâ maximâ culpâ !

Pendant que le duc d’Anjou rend ainsi grâce à son Dieu d’avoir échappé au poignard de la jeune protestante, celle-ci, toujours aux mains des seigneurs, qui l’accablent d’injures, de menaces de mort, redresse le front, les brave d’un œil ferme, en gardant un dédaigneux silence. Le marquis de Montbar, le plus forcené de ces courtisans, se croyant quelque peu responsable des faits et gestes de la huguenote, conduite par lui jusqu’au lit de son maître, dégaine son épée ; il va frapper Cornélie, lorsque le prince, se relevant de son prie-Dieu,