Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/295

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table grossière sur laquelle on voit un sablier, un bréviaire, une tête de mort et une lampe de fer ; elle jette sa clarté douteuse dans cette espèce de cave, en un coin de laquelle une lourde trappe masque le degré de pierre par lequel on descendait autrefois sous la voûte de l’aqueduc, intérieurement muré par les royalistes, de crainte de surprise, depuis que ses eaux ont été détournées au commencement du siège de La Rochelle.

Cornélie vient d’être amenée dans ce lieu sinistre, où elle se trouve avec le moine. Elle sait n’avoir aucune chance de salut ou de fuite. Cette salle n’a d’autre issue que le couloir aboutissant à la salle des gardes du prince, et là se tiennent constamment les gens de sa suite. Les traits de fra‑Hervé sont plus macérés que jamais ; son grand front, garni de quelques mèches de cheveux blancs, est osseux, jaunâtre et luisant comme le crâne de la tête de mort placée sur la table. À voir la figure blafarde et décharnée de ce moine, on dirait la face d’un cadavre, sans le sombre éclat de ses yeux caves, brillant dans l’ombre de leurs profonds orbites. Il s’est assis sur l’escabeau. Cornélie, debout, frissonne d’horreur et d’effroi ; elle est seule avec ce monstre qui, à la bataille de La Roche-la-Belle, a, de sa main fratricide, égorgé Odelin, père d’Antonicq. Fra‑Hervé s’est un instant recueilli ; il dit à la jeune fille d’une voix caverneuse : — Tu connais le sort que te réservait monseigneur le duc d’Anjou en punition de ta tentative de meurtre… tu devais être livrée aux goujats de l’armée…

— Ah ! — s’écrie Cornélie en frémissant, — seul, le fils de Catherine de Médicis pouvait concevoir une pensée… dont s’indigneraient les plus scélérats…

— Tais-toi ! parle avec vénération de cette pieuse famille des Valois… elle est, à cette heure, l’un des plus fermes soutiens de l’Église catholique…

— Dieu juste !… tu entends !… — reprend Cornélie. Puis, dominant son indignation : — Je suis en votre pouvoir ; que voulez-vous de moi ?…