Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/298

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tique est une femme ?… Non !… Une hérétique est une femelle… comme la louve des forêts… Et qu’est ce que la pudeur de la louve ? sache donc que la pourriture de l’hérésie a effacé de ton front maudit le signe divin à quoi l’on reconnaît la créature faite à l’image du Tout-Puissant… Tu n’as plus rien d’humain ! tu es tellement gangrenée, souillée, que l’on ne saurait, quoi qu’il t’advienne, te souiller, te gangrener davantage… L’abjuration seule peut laver la fange où tu croupis depuis ta naissance… Abjure… deviens catholique… alors tu seras élevée à la dignité de femme, alors tu pourras prétendre à la pudeur… alors je la sauvegarderai de toute atteinte… Jusque-là, moi, je te défends de parler de ta chasteté ! elle mérite autant de souci que celle de la bête des bois, abandonnée aux mâles !…

— Monsieur… — balbutie Cornélie, éperdue, — monsieur, ayez pitié de moi !… Ah ! vous me rendrez folle !… Vos menaces, je les entends… et je ne les crois pas… Exiger de moi… de moi un détestable parjure ! vouloir que je renie ma foi… que je mente à ce qu’il y a de plus sacré dans ma conscience… vouloir que j’adore pieusement ce qui est pour moi un invincible objet d’aversion !… est-ce possible ?… Je vous dis que vous ne pensez pas cela… je vous dis que vous ne voulez pas cela… — ajoute Cornélie d’une voix haletante ; et portant ses deux mains crispées à son front, baigné d’une sueur glacée : — Seigneur ! faites que je meure… ou égarez ma raison !

— Ta raison ne s’égarera point… tu m’entends, tu me comprends… — répond fra‑Hervé avec une impassibilité féroce. — Tu entreras dans un cloître, sinon… tu seras livrée aux soldats… Il faut que cela soit… j’ai mes motifs… Il ne s’agit pas seulement du salut de ton âme… écoute-moi… Selon ce prisonnier qui m’a appris tes fiançailles, Antonicq Lebrenn t’aime à ce point, que, si tu mourais, il te garderait éternellement sa foi et ne se marierait pas ; or, il ne pourra t’épouser si tu es ensevelie vivante au fond d’un cloître ;