Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/304

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adolescent en ces temps-là), et, entaillant le bâtonnet, le vieillard ajoute : — Hêna, la fille de ma sœur, a été plongée vivante vingt-cinq fois dans les flammes par les prêtres de l’Église de Rome… je viens de mettre à mort mon vingt-cinquième prêtre catholique !…

Joséphin, ce disant, contemple, silencieux, le corps de fra‑Hervé, étendu sur le dos dans une mare de sang, les bras raidis, les poings crispés, les genoux demi-pliés ; la lumière de la lampe éclaire en plein la face livide du moine, horriblement contractée par les convulsions de l’agonie. Elle conserve son expression farouche ; les mâchoires sont serrées, les lèvres écumantes ; les yeux du cadavre, vitreux, fixes, encore menaçants, semblent sortir de la profondeur des orbites.

— Ah ! — dit le franc-taupin en soupirant et d’une voix légèrement attendrie, — combien de fois, hélas ! combien de fois, assis au foyer de ma pauvre sœur, lorsque ce malheureux… que voilà mort écumant de rage… était encore enfant, combien de fois je l’ai pris, lui et son frère Odelin, sur mes genoux ! caressant leurs petites têtes blondes, baisant leurs joues rondelettes… Heureux de leur joie enfantine, je les amusais, je les égayais en leur chantant ma chanson de franc-taupin !… Alors, Hervé égalait son frère par la douceur du caractère, par la bonté du cœur ; tous deux étaient la joie, l’orgueil, l’espérance de ma sœur et de Christian !… Mais un jour, un moine, un démon, fra‑Girard, s’empare de l’esprit de ce malheureux Hervé, le domine, l’égare, le corrompt et le perd à jamais !… Oh ! prêtres de Rome ! prêtres de Rome !… soyez maudits !… Hélas ! de ce doux enfant que j’aimais tant, vous avez fait un fanatique sanguinaire… un fou enragé… un fratricide… et j’ai dû le frapper… lui… lui… le fils de ma sœur !…

Le franc-taupin est distrait de sa rêverie par le bruit retentissant de plusieurs coups de masse et de crosse d’arquebuse violemment assénés du dehors et qui ébranlent la porte, tandis que, dominant le tumulte, la voix du marquis de Montbar s’écrie :