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par des moines bernardins, avait été saccagée comme la plupart des résidences monacales du Poitou, du Quercy et du Limousin, où la réforme comptait de nombreux partisans. Ce couvent, bâti, ainsi qu’ils le sont presque tous, dans une admirable situation, au versant d’une colline ombragée de bois touffus, dominant de vertes prairies arrosées par des ruisseaux d’eaux vives, ce couvent portait les traces d’un ravage récent : les fenêtres brisées, les portes défoncées ou arrachées de leurs gonds, une partie des murailles noircies par l’incendie, les chapiteaux des colonnettes du cloître, les nervures des portes ogivales écornées, mutilées par de nombreuses décharges d’arquebuserie, témoignaient d’un incroyable acharnement de dévastation. La furie des nouveaux iconoclastes se proportionnait à leur crédulité première ; les gens longtemps abusés deviennent impitoyables envers les fourbes dont ils ont été victimes.

Vers le milieu du mois de juin 1569, à la fin d’un beau jour d’été, le silence des ruines du monastère de Saint-Séverin, depuis longtemps abandonné par les moines, fut troublé par l’arrivée de deux escadrons de chevau-légers de l’armée catholique ; cette cavalerie escortait un long convoi de mulets de bât, leurs conducteurs portaient les couleurs et les armoiries de la maison royale de France et de la maison de Lorraine. Ce convoi entra dans la cour du cloître ; les gens de livrée, déchargeant les mulets, prirent possession de l’abbaye déserte. Les chevau-légers, ainsi que leur nom l’indiquait, formaient une cavalerie armée à la légère de morions et de corselets à bourguignotte, avec brassards, gantelets et tassettes à demi couvertes par la botte ; leur petite arquebuse, de trois pieds de long, bien polie et brillante comme leur fourniment, pendait à l’arçon de leur selle, sans compter l’estoc et la masse de fer. Cette gendarmerie avait pour commandant le maréchal des camps comte Neroweg de Plouernel, homme de soixante ans passés, d’une figure rude, hautaine et guerrière, couvert de la tête aux pieds d’une armure damasquinée d’or ; il montait un superbe cheval turc d’un gris d’argent, caparaçonné au cou, au