Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/62

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cardinal avec un accent d’insinuante flatterie ; — Junon sur le trône… Diane dans les bois…

— Ah ! de grâce, monsieur le cardinal, ne parlons pas de ces mythologies-là ; elles étaient bien vieilles, et elles ont vécu… Diane comme les autres…

Cette cruelle allusion à ses ridicules amours avec la vieille et défunte Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, piqua au vif l’orgueilleux prélat ; il voulut rendre coup pour coup, et répondit, faisant à son tour allusion à ses amours avec la reine :

— Quoi, madame… la mort de la duchesse de Valentinois n’aurait point encore désarmé votre jalousie ?… Je voudrais le croire… car dans mon cœur l’espérance succéderait à mes regrets, nourris des plus tendres ressouvenirs…

Catherine de Médicis s’était prostituée à ce prêtre par calcul politique, de même qu’il l’avait recherchée par calcul d’ambition ; ces prostitutions dégradantes, lorsque les motifs qui les ont provoquées n’existent plus, ne laissent dans l’âme des deux coupables que fiel, mépris et aversion. L’Italienne ne parut pas avoir entendu la réponse du cardinal, lui lança un froid regard de vipère, et reprit impassible :

— Je vous le disais, monsieur, en vous priant d’excuser cette comparaison empruntée à la fauconnerie, je vous le disais : vos circonvolutions oratoires durant notre entretien de ce soir me rappellent les circonvolutions sans fin que décrit le faucon dans les airs, lorsqu’il s’élève à perte de vue, afin de dominer plus sûrement sa proie et de fondre sur elle… Mon attention s’est en vain fatiguée à vous suivre dans les nuages de votre discours ; mais la proie que vous poursuivez, où est-elle ? quelle est-elle ? Vous m’avez engagé à me rendre à l’armée auprès de mon fils d’Anjou[1], parce que, disiez-vous, ma pré-

  1. … La reine, poussée du cardinal de Lorraine, qui blâmait les actions de M. le duc d’Anjou, vint à l’armée pour s’éclaircir de la faute de n’avoir pas combattu avant que les ennemis fussent joints (après la mort du duc des Deux-Ponts, empoisonné par des vins de présent d’un marchand de vin d’Avallon), S. M. veut aller à la guerre avec M. de Tavanes, etc. (Mémoires de Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes, p. 522-525.)