Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/75

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— Il va de mon intérêt de ne vous rien cacher… J’ajouterai avec la même sincérité que j’aime à la furie le pouvoir… oui, régner, c’est ma vie… Tenez, mon révérend, je le sais, on me compare à Brunehaut ! on dit que, comme elle, j’ai favorisé chez mes fils une débauche précoce afin de les énerver, de les abêtir et de gouverner à leur place ! on dit que je sème entre mes enfants des germes de haineuse jalousie, dans le but de les diviser, de leur inspirer de mutuelles défiances, de les pousser à un espionnage réciproque, dont je suis seule confidente, et qui me livre tous les secrets de ma famille… On dit…

— On dit en effet beaucoup de choses, madame… mais…

— Oh ! il faut accorder fiance aux on dit, mon révérend, en ce qui me concerne du moins, ils se trompent rarement… faites votre profit de cet aveu… Je poursuis. Les guerres religieuses m’ont fourni l’occasion et le moyen d’abattre, les uns par les autres, ces puissants seigneurs catholiques ou protestants, qui, sous le règne de mon mièvre époux, reconstituaient déjà une féodalité menaçante pour la couronne ; j’ai eu, j’ai encore à lutter contre eux, comme la vieille Brunehaut a eu à lutter contre les maires du palais, les Guisards de ce temps-là !… Ils visaient au trône ! ceux de notre temps les imitent de leur mieux… Ainsi l’on prétend à Rome et à Madrid que j’ai toléré la réforme ? Pardieu ! je ne m’en suis point tenue là ! Non ! non ! Suivant les conseils du chancelier de L’Hôpital, parfaitement d’accord, d’ailleurs, avec mes convenances du moment, j’ai puissamment favorisé les protestants…

— Madame…

— Attendez !… Savez-vous pourquoi je les ai protégés ? Parce que les classes éclairées, riches, industrieuses, productives pour l’État, appartenaient généralement à la réforme. Minorité, direz-vous ? soit ; mais cette minorité représentait les forces vives de la nation ; de là ma prédilection pour les réformés. Les catholiques, au contraire, obéissant, sous l’inspiration des Guises, à toutes les exigences