Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/99

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aimée dirait à l’homme possédé de cet amour frénétique : « Tue ton père… tue ta mère… » il les tuerait ! ! — Et Catherine de Médicis, embrassant sa fille d’honneur avec effusion, lui met le flacon dans la main, et ajoute : — Prends donc, mignonne… va enivrer… puis épouser ton Frantz, sois heureuse… et rappelle-toi quelquefois ta maîtresse !

Anna-Bell ne conserve aucun doute ; la reine, exploitant le secret amour de sa fille d’honneur pour le prince, espère la rendre, à son insu, l’instrument d’un meurtre par le poison. Saisie d’effroi, mais parvenant à le dissimuler, elle reste muette, tenant machinalement le flacon dans ses mains. La reine, attribuant le saisissement et le silence d’Anna-Bell à l’excès de joie ou à l’anxiété que lui causent tant de difficultés à surmonter pour se rapprocher du prince, reprend : — Pauvre chère fille, te voilà tout interdite ? comme si, t’éveillant en sursaut au milieu d’un rêve, il devenait une réalité ? Tu te demandes comment te rapprocher de ton Frantz ?… Rien de plus facile… si ton courage est à la hauteur de ton amour.

Anna-Bell, dominant son trouble, répond d’une voix assurée : — J’espère, madame, ne pas manquer de courage… Si ce philtre…

— Il est tout-puissant, te dis-je… Que ton Frantz en boive seulement quelques gouttes versées par toi, il deviendra fou d’amour. Ton vouloir en toutes choses sera le sien… Un mot de ta bouche… et avec ivresse il t’offrira sa main.

— Mais, madame… comment pourrai-je ?…

— Te rapprocher de Frantz ?

— Oui, madame…

— Écoute-moi bien… Nous sommes à quelques lieues de l’armée ennemie ; elle occupe la petite ville de Saint-Yrieix ; notre escorte a été conduite jusqu’ici par des guides sûrs, gens de ce pays ; je vais ordonner à M. Neroweg de Plouernel de charger l’un de ces guides de le conduire jusqu’aux avant-postes des réformés ; tu prendras l’une de mes litières attelée de deux mulets, et demain, au point du