Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/217

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frayeur. C’est que, hélas ! il faut le dire, fils de Joel, les gens de guerre, surtout depuis les dernières et exécrables conquêtes de Louis XIV, l’invasion de la Hollande et des Flandres, le ravage et l’incendie du Palatinat, les gens de guerre sont autant haïs et redoutés des populations urbaines et rustiques que le seraient des troupes ennemies ; ressentiments justifiés par la brutale insolence, par la cupidité, par les habitudes de débauche et par les pires habitudes de cruauté de cette soldatesque de qui la férocité inouïe, lors de la campagne des Flandres, fit abhorrer à l’étranger le nom français, et déchaîna l’aveugle haine du peuple de La Haye contre MM. de Witt. Oui, de nos jours, les soldats de Louis XIV nous traitent en peuple conquis. Aussi l’alarme causée au cortége nuptial de Nominoë par l’approche des gens de guerre redoubla lorsque ceux-ci, hâtant le pas, s’écrièrent : — Arrêtez ! arrêtez !…

— Feu et flammes ! Faisons face à ces habits rouges ! — dit Tankerù à Salaün, auprès de qui il chevauchait — Chacun de nous a une injure ou un dommage à venger, depuis que ces soldats tiennent garnison dans le pays !… Hardi, frère ! autant commencer aujourd’hui que demain, il suffit d’une étincelle pour allumer l’incendie, — ajouta le forgeron d’un air significatif. — Nous sommes en nombre !

— Nous sommes en nombre, mais sans armes, et nous avons avec nous des femmes et des enfants, — répondit Salaün. — Pas d’imprudence, frère… attendons l’heure propice ; elle sonnera peut-être bientôt !… Je vais savoir ce que veulent ces soldats.

— Mon père, — dit Nominoë entendant les dernières paroles de Salaün, — je vous accompagne…

— Tu oublies que tu as ta femme en croupe ? Restez tous deux près de Tankerù, — répondit Salaün ; et faisant volter son cheval, il se dirigea vers les soldats.

Le cortège s’arrêta. Les femmes, les enfants et les moins résolus des paysans s’alarmaient de plus en plus, car, ainsi que venait de le dire le forgeron, grand nombre de violences avaient été commises