Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/295

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comte, — amusez-les… gagnez du temps… les soldats et vos forestiers ne tarderont point !…

— Vraiment, manants ! vous exposez vos doléances ! — reprend M. de Plouernel avec un suprême dédain et un courroux mêlé de stupéfaction,— vous avez rédigé les règles qu’il me plaira suivre envers vous ?

— Nous avons pris cette liberté grande, monseigneur… nous sommes à bout… Faut que ça change, voyez-vous… il faut absolument que ça change !… En fin de compte, nous vous demandons de ne plus être traités pire que des bêtes de somme, vu les corvées sans salaire dont vous nous écrasez ; nous vous demandons, monseigneur, de n’être plus menés à coups de bâton… nous vous demandons, monseigneur, de ne plus, par le seul effet de votre bon plaisir, nous charger, nous surcharger de taxes… elles nous réduiraient bientôt à brouter l’herbe des champs ou à manger l’écorce des arbres !… Nous vous demandons, monseigneur, de ne plus être emprisonnés, battus de verges, envoyés aux galères ou pendus si nous tuons vos cerfs ou vos sangliers, quand ils viennent ravager nos guérets… nous vous demandons, en outre… Mais à quoi bon ? lisez le cahier, s’il vous plaît, monseigneur, et, vous le verrez, nous ne voulons rien que justice… Oui, lisez le code paysan, c’est le nôtre !… Acceptez-le, vous ne serez point ruiné, tant s’en faut ! mais du moins, nous et nos familles, nous ne crèverons plus à la peine ni plus ni moins que des chevaux fourbus ! Nous travaillerons toujours pour vous, de l’aube à la nuit, monseigneur ; vous aurez toujours la grosse, grosse part, nous la petite, la toute petite, puisque le sort… est le sort… mais vous nous laisserez seulement de quoi vivre comme doivent vivre des créatures du bon Dieu !… Donc, acceptez le code paysan, monseigneur, signez-le bravement… soyez fidèle à votre signature, nous serons fidèles à notre engagement… ça sera la paix… une bonne paix pour vous et pour un chacun.


— Ah ! ah ! — reprend le comte de Plouernel, à qui l’audace