Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/37

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au sujet de la succession de Clèves. Le Béarnais avait alors cinquante-six ans. Sachant que son ami Bassompierre aimait mademoiselle de Montmorency et voulait l’épouser : « — Bassompierre, — lui dit-il ; je veux te parler en ami. Je suis devenu, non-seulement amoureux, mais furieux et outré de mademoiselle de Montmorency ; si tu l’épouses et qu’elle t’aime, je te haïrai… Je suis résolu de la marier à mon neveu Condé. Il est jeune et aime cent fois mieux la chasse que les dames ; je lui donnerai cent mille francs par an pour passer son temps[1]. »

Bassompierre renonce à ses prétentions sur la main de mademoiselle de Montmorency ; elle épouse le prince de Condé. Mais celui-ci, afin de soustraire sa femme aux lubriques poursuites du Béarnais, prend la fuite et conduit la princesse hors de France. Henri IV, exaspéré, assemble son conseil, afin de délibérer sur l’équipée de M. de Condé, assez insolent pour ne vouloir point que son lit conjugal soit souillé par son royal oncle. Malheureusement, Sully, en cette conjoncture ridicule et odieuse, entacha sa mémoire par une lâche servilité. Le Béarnais lui ayant dit, tout courroucé :

« — Monsieur de Sully, le croiriez-vous, M. le prince est parti et emmené sa femme ?

— Sire, je ne m’en étonne point, — répondit le ministre ; — je l’avais bien prévu et vous l’avais bien dit. Si vous eussiez cru le conseil que je vous donnais, il y a quinze jours, vous eussiez mis M. de Condé à la Bastille, où vous le trouveriez maintenant, et je vous l’eusse bien gardé[2]. »

Et voilà, fils de Joel, comment la fatale influence de la royauté finit par avilir, par dégrader les plus honorables caractères ! L’iniquité commise pour satisfaire aux détestables passions de celui-là que les gens de cour appellent bassement leur maître, n’est plus, à leurs yeux, une iniquité ; afin de le servir, ils se rendent coupables d’actes

  1. Mémoires de Bassompierre, t. I, p. 587.
  2. Mémoires de Sully, t. I, p. 422.