Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/83

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faire davantage ; en d’autres termes, de n’avoir pu obtenir contre eux une condamnation à mort !

Mais, hélas ! l’une des conséquences fatales du despotisme de ce temps était de tout pervertir, de tout corrompre, il se faisait arme de tout contre les peuples, tournait contre eux la justice et l’armée, ces deux institutions fondées pour sauvegarder les droits de chacun, pour assurer la sécurité des citoyens ; mais la logique du mal est irrésistible. Ainsi, sous le règne du grand roi, le magistrat, dont le devoir sacré est d’innocenter les innocents, de condamner les coupables, s’efforçait, au contraire, d’aggraver des charges insuffisantes contre les accusés !… Ainsi, sous le règne du grand roi, le soldat, soldé, vêtu, logé, nourri par les citoyens, moyennant les impôts qu’ils payaient, le soldat, qui devait, au besoin, protéger les biens et la vie de tous, insultait, rançonnait et menaçait du bâton ou de l’épée, paysans et citadins, et trop souvent ne se bornait point aux menaces !

Citons encore, citons toujours, et vous comprendrez, chers lecteurs, la frayeur, l’aversion, qu’inspira aux habitants des villes et des campagnes la soldatesque de Louis XIV, qui, malgré quelques rares répressions, tolérait ces excès, parce que la tyrannie de ce prince s’appuyait sur la force. Voici en quels termes écrivait à Colbert, son frère Charles Colbert, conseiller d’État ordinaire, et intendant de justice, police et finances de la maréchaussée de Paris.

À Toigny, ce 14 mars 1675................................

« Depuis mon départ de Paris, j’ai rendu compte tous les jours à M. le marquis de Louvois de ce que j’ai fait en exécution des ordres du roi ; et, quoique les villes et les paroisses que je puis dire, sans exagérer, avoir trouvées dans la dernière résolution, et dans l’impossibilité manifeste de payer ce qu’un leur avait fait promettre par force se louent fort des soins que j’ai pris pour leur soulagement et des effets qu’elles en ressentent, néanmoins, j’ai encore laissé à l’infanterie et à la cavalerie des avantages assez considérables, pour donner moyen aux officiers de rendre leurs compagnies complètes dans la fin d’avril, suivent le calcul que j’en ai fait en sorte que je n’aurai pas de peine à faire voir que mon principal but a été le rétablissement des troupes de Sa Majesté, et mon second objet le soulagement des peuples, jusques au point que j’ai cru leur être absolument nécessaire, pour leur laisser seulement le moyen de payer au roi ce qu’ils doivent ; et j’oserai vous dire, sans prétendre me faire valoir, que je n’ai pas eu peu de peine à concilier deux choses si opposées. J’ai joint pour cela, au raisonnement et à la sévérité des remontrances et des menaces, les emprisonnements des cavaliers et des soldats, l’instruction de leurs procès, et les informations et même assignations, poursuites et ajournements personnels contre quelques-uns des officiers les plus violents et les plus déréglés, et j’ai mis toutes choses en état de faire quelque punition exemplaire et finir par là toutes les violences qu’on exerce encore en plusieurs endroits contre les sujets du roi, pourvu que je puisse apprendre, de quelque part que ce soit, que Sa Majesté ne désapprouvera pas ma sévérité ; mais, je vous l’avoue, ce qui me donne lieu d’en douter, c’est que, depuis quinze jours, j’écris continuellement à M. de Louvois, sans recevoir de lui aucune réponse. »

(Post-scriptum de cette dépêche :)

«… À mon retour, je le jugerai et en ferai la punition que le cas mérite mais le désordre est si général parmi toutes ces troupes, que je crois que cent exemples ne sont pas capables de les arrêter. »

Et ceci, est-ce clair ?

L’intendant Colbert, selon son interprétation du silence de Louvois, était presque certain que « sa sévérité envers les excès de la soldatesque serait désapprouvée par le roi. »

Ces violences, que cent exemples ne seraient pas capables d’arrêter (disait encore le conseiller Colbert), se reproduisaient dans d’autres provinces, et M. Charron, vicomte de Ménars, remplissant dans la généralité d’Orléans et du pays chartrain les mêmes fonctions que Charles Colbert dans la sénéchaussée de Paris, écrivait, de son côté, au ministre :

Chartres, ce 31 mars 1675................................

« Monsieur,

» Les violences et les exactions du régiment de Tilladel vont à un tel excès, que j’ai cru ne pouvoir me dispenser d’en faire un exemple. Il est tombé sur le maréchal de logis de la compagnie de Folleville, que j’ai fait mettre en prison ; vous verrez, monsieur, par l’information que je vous envoie que cet homme a pris jusqu’à deux louis d’or par jour pour ses deux places, sans y comprendre la paye du roi, et qu’il a battu des collecteurs. Si ce désordre était toléré je ne pourrais plus empêcher les autres régiments de vivre sur le même pied, et la province serait entièrement ruinée. Je connais si bien de quelle importance il est, pour le service du roi, qu’une telle exaction ne demeure pas impunie, que ce maréchal des logis aurait été pendu demain, sans la part que je sais que M. de Louvois prend à ce régiment, qu’il honore de sa protection. Cela m’a fait prendre le