Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/119

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Petite, il faut maintenant te coucher, — me dit cet homme, et il sortit. Sans doute, l’on m’avait fait boire quelques verres d’un vin capiteux. Je sentais ma raison se troubler… Je me laissai mettre au lit, m’informant encore de mes parents. L’on me promit que je les verrais le lendemain matin. La femme et ses deux compagnes m’engagèrent à bien dormir, éteignirent les bougies roses des candélabres d’or et ne laissèrent pour luminaire qu’une lampe d’albâtre ; elle jetait une pâle clarté dans cette vaste chambre. J’allais céder moins au sommeil qu’à l’engourdissement de l’espèce d’ivresse où j’étais plongée, lorsque la frayeur me rendit, pendant quelques instants, toute ma connaissance, Mon lit était placé au fond d’une alcôve. Deux des panneaux dorés qui la formaient s’écartèrent en glissant dans des rainures et je vis apparaître un vieillard vêtu d’une robe de chambre… Je poussai un cri de surprise. Je reconnus le roi Louis XV… je l’avais vu peu de temps auparavant à Paris, lors d’une cérémonie publique… Je restai immobile de stupeur. Derrière le roi se tenait, dans le couloir secret aboutissant à l’alcôve, une femme jeune et belle à demi vêtue d’un riche manteau de lit et portant à la main un bougeoir. Elle riait aux éclats et dit au roi, en le poussant par l’épaule : — Allons, La France… voici l’heure du berger !… — Cette femme, je l’ai su plus tard, était la comtesse du Barry… Bientôt l’épouvante me fit évanouir… J’étais victime d’un monstrueux attentat… Cinq jours après, une autre malheureuse enfant, âgée comme moi de douze ans à peine, et fille d’un meunier de Trianon, livrée ainsi que je l’avais été aux horribles lubricités de Louis XV, lui donnait la petite vérole dont il trépassa. Deux jours avant la mort de ce prince, la femme dont j’ai parlé, l’une des royales entremetteuses de cette époque, me fit sortir de nuit des petits appartements du palais de Versailles et monter dans une voiture, m’assurant qu’elle me reconduisait chez mes parents, que je demandais sans cesse en pleurant… Je n’avais cependant pas encore complètement con-