Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/19

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Barthélemy. L’Église frappe des médailles commémoratives en honneur de la révocation de l’édit de Nantes… On dresse des statues au prince destructeur de l’hydre de l’hérésie. Le pape enfin, quoique en hostilité flagrante avec la France gallicane, partage l’ivresse générale, et le 15 novembre 1686, il adresse à Louis XIV un bref dans lequel le Saint-Père exprime la joie que lui cause l’extermination complète de l’hérésie, et il célèbre la révocation de l’édit de Nantes, en tenant un consistoire extraordinaire et en chantant un Te Deum !

Mais, ainsi que vous l’avez déjà vu tant de fois à travers les âges, fils de Joël, l’excès même de l’oppression fait éclater des résistances désespérées. Les protestants, d’abord terrifiés, sortent de leur stupeur ; et, bravant les édits, la proscription, les galères, l’échafaud, ils retournent à leurs temples en ruines ou s’assemblent en armes au fond des bois, pour écouter le prêche de leurs ministres, tandis qu’un grand nombre de leurs coreligionnaires continuent d’émigrer. Louis XIV recourt aux mesures impitoyables, afin d’arrêter cette émigration et de frapper les non convertis. La peine de mort, pour ainsi dire généralisée, est appliquée à presque tous les délits religieux… La mort à ceux qui assistent aux prêches ! La mort à ceux qui émigrent ! La mort à ceux qui essayent d’arracher leurs enfants des mains des prêtres catholiques ! la mort aux complices de la fuite de leurs coreligionnaires !… La mort partout ! la mort toujours ! Et cependant les terribles menaces de la loi sont vaines : deux cent mille protestants, malgré des difficultés inouïes, parviennent à sortir de France. Ils formaient l’élite de la population par leur industrie, par leur richesse, par leur savoir ; ils vont porter à l’étranger cette science, cette industrie, dont la perte doit ruiner le pays. Les soldats, les officiers hérétiques suivent l’exemple de leurs frères persécutés. « De 1686 à 1689, — dit Vauban, — neuf mille matelots, les meilleurs du royaume, douze mille soldats d’élite et six cents officiers, ont passé à l’étranger. » — Duquesne, l’un des plus illustres