Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/209

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donnée à une Assemblée composée de représentants du tiers état… Non, ils ne comprennent pas cela, et dans leur stupidité féroce ils souillent, ils ensanglantent par l’assassinat la plus sainte des causes.

— Mon père… — reprend Charlotte d’une voix ferme et le front empourpré par un généreux ressentiment, — M. Jean Lebrenn… est le plus loyal des hommes… il est incapable de…

— Ah ! ma fille, ainsi que toi j’ai cru à l’honnêteté de cet ouvrier que j’ai daigné combler de bontés… malgré les avertissements, les reproches de ton oncle Hubert… qui voyait peut-être plus juste… et plus loin que moi !… — répond M. Desmarais, ne remarquant pas l’extrême animation de sa fille. — Mais ce Lebrenn a pris une part active à la criminelle insurrection d’aujourd’hui… il est pour moi jugé… lui et ses pareils sont des brigands !…

— Jean Lebrenn ! un brigand ! — s’écrie Charlotte regardant comme une lâcheté de ne pas défendre l’homme qu’elle aimait. — Est-ce vous, mon père… vous… qui… naguère encore…

— Mon ami, — reprend vivement madame Desmarais, interrompant sa fille, afin de retarder une explication dont elle redoutait l’issue, — tu ne nous dis pas à la suite de quelles circonstances tu es venu à Paris au lieu de siéger à l’Assemblée nationale !

— Hier soir et durant cette nuit, les bruits les plus sinistres circulaient à Versailles… Selon les uns, le parti de la cour avait obtenu du roi la dissolution de l’Assemblée… les principaux membres du côté gauche devaient être arrêtés comme factieux.

— Grand Dieu ! et tu siéges de ce côté, mon ami !… La violence de tes opinions… t’a depuis longtemps signalé aux haines de la cour…

— L’on ne m’eût pas arraché vivant de ma chaise curule… — répond majestueusement l’avocat comme un Romain de la vieille Rome. — Mais le parti de la cour, effrayé par la croissante agitation de Paris, dont elle recevait cette nuit d’heure en heure des nouvelles ; peut-être aussi effrayé par le bruit du canon de la Bastille, que l’on