Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/291

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je sais ce que j’ai à dire ! je trouve intolérable vos prétentions de me dicter ma conduite et mes réponses… — Et l’avocat ajoute à part soi avec désespoir : — Ce malheureux-là veut donc ruiner ma popularité… me faire égorger par le peuple ! !

— Tenez, citoyen Hubert, je préfère la franchise de votre hostilité à de faux semblants de fraternelle égalité, — avait répondu Jean Lebrenn au financier, affectant de ne plus adresser la parole à l’avocat. — Vous êtes du moins sincère dans votre aversion, dans votre dédain pour nous… Vous êtes un ennemi résolument avoué, un ennemi aveugle, mais loyal… L’on peut plaindre votre aveuglement, vous combattre et vous estimer… Du premier jour où je vous ai vu, j’ai pressenti votre animosité… je l’ai regrettée… je la regretterai toujours… Vous êtes un homme de cœur, malgré vos préjugés ; ces préjugés de la majorité de votre classe contre le peuple, qu’ils soient franchement manifestés ou hypocritement dissimulés, seront, je le crains, funestes à notre cause commune… Unis cordialement, et marchant au même but, peuple et bourgeoisie seraient invincibles, accompliraient de grandes choses, changeraient sans secousse la face du vieux monde, tous y gagneraient ! Aussi nous compterons jusqu’au dernier moment sur votre concours, sur votre appui tutélaire, citoyen Hubert !

— Mais, mon cher Jean, ce concours de la bourgeoisie n’est-il pas acquis au peuple ? — reprend M. Desmarais. — Pouvez-vous douter que…

— … Le hasard de la naissance vous a donné, à vous bourgeois, ce dont le hasard nous a déshérités : l’instruction et la fortune ! — poursuit Jean Lebrenn, sans s’arrêter aux protestations de l’avocat. — Vous êtes nos guides naturels, nos intérêts sont les mêmes, nos ennemis sont les mêmes… Rappelez-vous ceci : ils profiteront de notre désaccord, ils envenimeront, ils exalteront les défiances, les craintes que notre rudesse, notre ignorance, notre misère, vous inspirent à tort… à grand tort… oui, à grand tort ! je le répète, je l’affirme !