Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/293

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Après tout… cette modestie, cette confiance, aurez-vous le triste courage de nous les reprocher ?

— Non, non, sans doute… — reprit M. Hubert interdit et momentanément ému du langage de l’artisan, tandis que l’avocat Desmarais, désolé, se disait à part soi :

— Décidément, Jean Lebrenn m’a pris en aversion. Il affecte de ne pas me répondre ; il n’a pas été dupe du motif de mon refus… Il va m’accuser hautement et partout d’être un aristocrate ! ! Ainsi, voilà ma popularité ruinée ! me voici en suspicion aux yeux du peuple ! ! Et, au temps où nous vivons, la suspicion peut un jour devenir un danger terrible… mortel peut-être ! ! Ah ! que faire ?… que faire ?… Je ne peux pourtant pas donner ma fille en mariage à un garçon serrurier… C’est impossible ! ! Je serais la risée de mes amis… de mes collègues… je serais couvert de confusion à mes propres yeux… Que faire donc ?… car si, d’un autre côté, le populaire domine, je suis exposé à ses haines implacables… Maudite révolution… Ah ! je n’en serais pas là, si je n’avais eu à venger contre la noblesse… l’infâme outrage que m’a fait subir le comte de Plouernel ! Cela surtout m’a jeté dans les rangs du populaire… Mais encore une fois, que faire ?… car enfin, quoi qu’il arrive, il m’est impossible de marier ma fille à un garçon serrurier ! !… s’agirait-il de ma tête ! !

Pendant ces tristes réflexions de l’avocat, l’entretien avait ainsi continué entre le jeune artisan et le chef de bataillon du district des Filles-Saint- Thomas.

— Ainsi vous ne pouvez vous refuser de le reconnaître, citoyen Hubert… le peuple a toujours jusqu’ici témoigné de son affection, de sa confiance… je dirai plus, de sa déférence réfléchie pour la bourgeoisie… Il a eu, il aura foi en elle jusqu’à la fin… mais, malheur irréparable pour vous et pour nous, si un jour la bourgeoisie, après s’être servie du peuple pour combattre, pour abattre la noblesse, voulait régner à l’ombre d’une royauté fictive, voulait substituer ses privilèges à ceux qu’elle aurait détruits avec notre aide…