Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maire, répétée de bouche en bouche d’un bout à l’autre du champ de Mars, obtint l’assentiment général. Alors ce fut un spectacle admirable… les pétitionnaires, hommes, femmes, enfants, montant en longues files et avec un ordre parfait, du côté gauche de l’estrade, s’arrêtaient tour à tour au pied de l’autel de la Patrie, apposaient leur signature sur d’épais cahiers, dont un lacet reliait les feuillets, puis redescendaient de l’autre côté de l’estrade, et cela sans confusion, sans bruit, chacun étant pénétré de la grandeur de cet acte civique.

Ah ! jamais, non, jamais, je n’oublierai l’émotion profonde, religieuse que m’a causée cet imposant tableau ! Un peuple accomplissant ainsi, à la face du ciel, devant l’autel de la Patrie, l’un des droits et des devoirs éternels de l’homme libre : le droit, le devoir de se réunir, afin d’aviser au salut de la chose publique ; et, calme dans sa force, d’avertir fraternellement ses mandataires de la funeste erreur où les jette l’aveuglement des partis ! Ô fils de Joël ! ces droits imprescriptibles, sacrés, éternels, du peuple souverain, cette conquête de 1789, vous les laisserez-vous jamais arracher par la tyrannie ? Dites, souffrirez-vous jamais de retomber dans cet abject ilotisme, dans cet abrutissant servage, au nom desquels nos pères étaient dédaigneusement exclus, dépossédés de toute participation aux affaires publiques ? Ou bien, par une lâche et criminelle insouciance, hébétés par la peur, dégradés par l’ignoble égoïsme du ventre plein, dites, les abdiquerez-vous jamais, ces droits, ces devoirs chers et sacrés ? Non, non, la journée d’aujourd’hui m’en est garant, car l’exercice de ces devoirs, de ces droits, a reçu le baptême du sang innocent, ils ont eu leurs martyrs immortels !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mon tour vint d’aller signer, je l’attendis longtemps, quoique je fusse placé aux abords de l’estrade ; le nombre des pétitionnaires était immense. Parmi les noms que je remarquai sur le feuillet où j’apposai ma signature, je me rappelle ceux d’ardents patriotes con-