Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réveillent en sursaut Louis XVI. Il s’est depuis longtemps endormi, cédant au besoin de sommeil, non moins impérieux chez lui que l’appétit. Le roi, se frottant les yeux, semble demander à Marie-Antoinette la cause des applaudissements qui l’ont réveillé. Elle l’en instruit ; il hausse les épaules, tire sa montre et regarde l’heure. Il est dix heures du soir ; la clarté des lustres a remplacé la lumière du jour. L’Assemblée est en permanence depuis la nuit du 9 au 10 août. Ses membres, à la suite de cette émouvante journée, sentent la nécessité de prendre quelques moments de repos. La séance est suspendue pendant une heure.

Je profite de ce temps pour aller me réfectionner. Je reviens bientôt. La séance se rouvre. La loge des logotactygraphes est de nouveau occupée par la famille royale ; Louis XVI est profondément abattu ; sa lèvre flasque et tombante ; ses yeux, fixes et alourdis, annoncent la prostration morale arrivée à son dernier terme. Seule, Marie-Antoinette semble conserver l’altière énergie de son caractère. Cependant, ses larmes, sans doute contenues par la fierté, tant que la reine a été en présence de l’Assemblée, ont librement coulé durant la suspension de la séance ; ses yeux sont rouges et secs ; mais son regard, lorsqu’il se promène parfois autour d’elle, a repris son expression de dédain haineux et de défi… Elle compte encore, et plus que jamais, sur le secours de la coalition des rois étrangers ; leur manifeste n’a-t-il pas menacé Paris d’une destruction complète et du carnage de sa population, si les Tuileries étaient attaquées ? la journée du 10 août va être le signal de l’invasion de la France… Et comment résisterait-elle aux armées innombrables de la coalition ?

Le dauphin dort sur les genoux de madame Élisabeth, qui penche son front pâle au-dessus de l’enfant. Mesdames de Tourzel et de Lamballe sont silencieuses et consternées.

Presque aussitôt après la réouverture de la séance, un citoyen, le visage bouleversé, se présente à la barre et s’écrie d’une voix entrecoupée :