Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/214

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« l’ami du peuple aux parisiens.


» Folie ! folie ! de faire leur procès aux contre-révolutionnaires.

» Peuple, porte-toi en armes à l’Abbaye :

» Arraches-en les traîtres, les officiers suisses et leurs complices… passe-les au fils de l’épée !!

» Peuple, frappe tes ennemis de terreur, sinon tu es perdu ! »

Cette exécrable provocation à l’extermination en masse de prisonniers, généralement coupables, c’est hors de doute, mais à des degrés différents et parmi lesquels se pouvaient trouver quelques innocents, cet appel au carnage fut pour moi un trait de lumière ; je compris le sens des sinistres paroles de Victoria… Son esprit, de plus en plus aigri, ulcéré, s’égarait parfois à ce point qu’elle partageait les accès de monomanie sanguinaire de Marat. Hélas ! pour moi, plus de doute, Victoria, probablement instruite de cette excitation au massacre, y faisait une effrayante allusion en me disant : « Qu’elle allait se faire belle pour la fête d’aujourd’hui. » — À ce souvenir, je frissonnai d’horreur. Je remarquai bientôt que tout d’abord la lecture du placard de Marat causa un sentiment universel de répulsion et de révolte. Il en arrivait heureusement presque toujours ainsi lorsque l’Ami du peuple, qui témoignait souvent d’une si merveilleuse sagacité, d’un si rare bon sens dans ses sages et patriotiques avis à ses concitoyens, se livrait au délire de sa folie stupide et furieuse, demandant cent mille têtes et la dictature pour sauver la révolution. Cependant, en raison de l’effrayant concours de circonstances actuelles, et de l’espèce d’à-propos que donnait la conspiration permanente des prisons à l’atroce placard de Marat, je vis que le premier mouvement d’indignation suscité par ce placard s’affaiblissait peu à peu, surtout après une sorte de discussion qui bientôt s’éleva entre quelques citoyens et le lecteur de la sanguinaire affiche ; celui-ci, afin d’être mieux entendu, monta sur une borne. Jeune encore et vêtu de deuil, il portait son bras gauche en