Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/244

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affection, écartons tout sujet de discorde entre nous, en jetant un voile sur ces événements redoutables, que nous envisageons, toi et moi, à un point de vue si différent ; je te promets de ne jamais te reparler de ce lugubre sujet ; fais-moi la même promesse.

— Frère, la prévention t’aveugle ! il est de mon devoir de t’ouvrir les yeux.

— Je suis aveugle, soit ; je veux rester aveugle.

— Et moi, je ne veux pas, je ne dois pas te laisser dans l’erreur.

— Victoria… de grâce.

— Tu m’entendras.

— Non !

— Tu m’entendras, te dis-je ; oui, tu m’entendras, parce que tu n’as pas le droit de fermer volontairement les yeux à la lumière ! parce que tu n’as pas le droit de porter un jugement partial sur des faits que tu ignores.

— Ah ! malheureusement, je ne les connais que trop !

— Comment les connais-tu ?… par la rumeur publique ?

— Ciel et terre ! oses-tu donc soutenir que l’on n’a pas massacré les prisonniers ?

— L’on a condamné les coupables et absous les innocents !

— Et quand cela serait ?… Au nom de quelle loi a-t-on condamné ceux-ci ? absous ceux-là ?

— Au nom de quelle loi, mon frère ? au nom de la justice éternelle, qui frappe les méchants et épargne les bons !

— Quoi ! ces égorgeurs…

— Il n’y a pas eu d’égorgeurs ! il y a eu des juges et des justiciers : les juges ont interrogé les accusés, ils les ont écoutés, ils ont engagé ceux qui se troublaient à se calmer, à peser leurs réponses, à se rappeler tout ce qui pouvait servir leur défense ; et lorsqu’elle a été suffisante, les accusés ont été absous au milieu des transports de joie des juges et des justiciers, cent fois plus heureux d’acquitter un innocent que de frapper un coupable !