Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, non ! cent fois non !

— Qu’en sais-tu, mon frère, puisque ces faits tu te refuses de les connaître ?

— Soit, parle ; — ai-je répondu avec une impatience douloureuse, afin de mettre, le plus tôt possible, terme à cet entretien qui me navrait. — Parle, je t’écoute.

— Je suis arrivée à l’Abbaye peu de temps après l’envahissement de cette prison ; voici quelles circonstances ont amené cet envahissement : trois voitures renfermant des prêtres réfractaires, accusés d’avoir fomenté la guerre civile, se dirigeaient vers l’Abbaye ; au moment où elles approchaient de la prison, l’un de ces prêtres qui, par la violence de ses propos, bravait la foule, fut par elle invectivé. Furieux, il lance à travers la portière de la voiture un coup de canne à l’un de ceux qui l’injuriaient ; la foule s’exaspère, entre à la suite des voitures dans l’Abbaye, et les prêtres qu’elles contenaient, ont été mis à mort.

— Et tu parles de juges !

— Le tribunal n’était pas encore établi ; je regrette que ces prêtres, conspirateurs avérés, n’aient pas été jugés. C’est au moment de cette exécution que je suis entrée dans la cour de l’Abbaye.

— Dieu juste ! et tu n’as pas fui, épouvantée ?

— Je me suis rappelé les millions de victimes massacrées, torturées, brûlées à la voix des prêtres de l’Église de Rome, depuis les temps des ariens jusqu’à la Saint-Barthélemy, jusqu’aux dragonnades des Cévennes ; et, sauf le vice de forme, cette exécution m’a paru une expiation d’un passé aussi criminel que le présent. Elle venait d’avoir lieu lorsque je suis entrée à l’Abbaye ; presque en même temps que moi, arrivait Manuel, procureur-syndic de la commune ; le peuple sommait alors les gardiens de lui livrer les prisonniers ; Manuel demande la parole ; il est écouté. Il commence d’abord par lire lire un arrêté de la commune, ainsi conçu :

« Au nom du peuple, citoyens, il vous est enjoint de juger tous