Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/322

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patriotisme de mon jeune ami ; ce soir, après le discours en question, il s’est jeté dans les bras de Jean Lebrenn, et lui a dit avec effusion : « — Je suis aussi fier de toi que si tu étais mon fils. »

— Marat a donné à mon élève une pareille preuve d’estime et d’affection ! lui, toujours si ombrageux, si hostile ?… Je ne reviens pas de ce que j’entends.

— Ce dont vous eussiez été bien plus surpris, cher collègue, c’est l’espèce de bonhomie, de paternelle indulgence, avec laquelle cet homme étrange, inexplicable, a répondu aux rudes paroles que lui avait adressées Jean Lebrenn.

— Est-il possible !  ! il a osé… rudoyer Marat ?

— Jugez-en. — « Citoyen Marat, » lui a dit notre ami, après l’accolade dont, entre nous, il paraissait peu flatté, « expliquons-nous ! Je reçois avec plaisir les félicitations du patriote intègre dont la sagacité a tant de fois pénétré et révélé les noirs complots des ennemis de la révolution ! Mais, je vous le dis avec la sincérité que se doivent des hommes libres, je repousse avec horreur les félicitations du monomane qui, dans ses accès de délire furieux, prêche la dictature et l’extermination en masse. »

M. Desmarais, regardant son collègue avec ébahissement, garde d’abord le silence de la stupeur ; puis, haussant les épaules :

— Sot que je suis, de ne pas m’apercevoir que vous raillez…

— Je ne raille point.

— Vous me persuaderez qu’en public, en plein club des Jacobins, Jean Lebrenn a osé, bravant ainsi la haine de cet homme effrayant…

— Jean Lebrenn a le courage de dire tout haut ce qu’il pense, cher collègue, et ce courage-là nous mérite même l’estime de nos adversaires, ainsi que l’a prouvé la réponse de Marat.

— Qu’a-t-il donc répondu ?

— Il s’est mis à rire de ce rire singulier que vous lui connaissez, puis il a dit à Jean Lebrenn d’un ton paternel : — « Tu es un bon