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L’Assemblée veut nous faire croire cette bourde ! — disait un fédéré fumant sa pipe et haussant les épaules en lisant l’affiche. — Ah, ça ! décidément, citoyens, le Législatif prend le peuple souverain pour une cruche ! ! »

En un mot, telle était l’indifférence profonde ou la satisfaction instinctive des masses au sujet de la fuite de Louis XVI, que les journaux royalistes eux-mêmes étaient forcés de rendre hommage à la paisible attitude de la population. L’Ami du roi du 23 juin (1791), rédigé par l’aristocrate Royou, disait :

« — … Quel a dû être l’étonnement, la confusion des factieux lorsqu’ils ont vu ce même peuple qu’ils croyaient si furieux, si passionné pour la révolution, attendre si paisiblement le nouvel ordre de choses que l’éloignement du roi semblait présager ? Les factieux ont prétendu se faire un mérite de cette tranquillité vraiment miraculeuse, eux qui comptaient sur un pillage et sur un massacre universel ! ! »

En résumé, tel était donc, le 21 juin 1791, l’état des esprits à Paris : la majorité de la bourgeoisie, consternée de l’évasion de SON roi, était résolue, dans le cas où les commissaires de l’Assemblée dépêchés à sa poursuite ne pourraient atteindre et ramener Louis XVI, de s’abriter derrière le protectorat provisoire offert à La Fayette, si toutefois l’on ne parvenait à obtenir du duc d’Orléans, grâce à ses affidés Laclos, Louvet et Sillery, qu’il reniât ce serment tant de fois répété par lui : — « qu’il jurait de répudier ses droits éventuels au trône, » et qu’il acceptât la royauté constitutionnelle. Le peuple, enchanté d’être débarrassé du roi, aspirait à la république, autant par la sûreté de son instinct du salut public, que par les généreuses et patriotiques inspirations de plusieurs organes de la presse révolutionnaire.

D’où vient donc, fils de Joël, que les fermes tendances républicaines de la population de Paris ne se manifestèrent par aucun acte durant cette importante journée du 21 juin (1791), qui pouvait, qui