Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/43

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hison ou de complicité avec le roi, puisqu’elle a osé afficher que Louis XVI avait été enlevé ! Quoi ! en ces conjonctures brûlantes, décisives, le langage des jacobins est aussi froid qu’ambigu ! Quoi ! ils ne soulèvent pas même la question de déchéance !… Et ce pâle, cet équivoque manifeste, va être la règle de conduite de tous les patriotes des départements, dont l’effervescence va atteindre à son comble en apprenant la fuite de Louis XVI ?

Telles sont les désolantes réflexions que nous entendons, Victoria et moi, s’exprimer autour de nous dans les tribunes, en suite de la silencieuse stupeur causée par la lecture du manifeste des jacobins. Cependant l’espérance se ranime soudain. Camille Desmoulins est entré dans la salle. Il a demandé la parole dès la porte, en élevant sa main vers le président avec sa pétulance habituelle ; puis il s’est dirigé vers la tribune, où il va prendre la parole, quoiqu’il soit membre du club des Cordeliers, le seul club franchement républicain de ce temps-ci, mais dont la popularité restreinte est complètement éclipsée par l’immense développement de celle des jacobins, qui rayonne sur la France entière.

— Ah ! voilà Camille ! — disait-on à nos côtés, avec un accent d’allégement, de confiance et d’espoir. — Il va mettre le feu aux poudres, lui !

— Il n’y manquera pas… car il s’exprimait hardiment aujourd’hui dans son journal sur la fuite du gros Veto !

— À quoi pensent donc les jacobins, eux si vigilants d’ordinaire ?

— Que voulez-vous, il faut les excuser… — a dit ma sœur à une jeune femme placée près de nous, — à force de veiller pour le peuple… ils se sont une fois endormis…

— S’ils dorment, — a répondu en souriant la jeune femme, — Camille va les réveiller…

— Écoutons… écoutons !…

Camille Desmoulins, très-jeune encore, et de qui la physionomie expressive, ironique et fine est aussi spirituelle que ses écrits, s’est