Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/114

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— Mon Dieu ! — pensait madame Desmarais en frissonnant, — le sort de Louis XVI a excité la pitié de mon mari, qu’il choisit le jour funèbre du supplice de ce malheureux prince pour marier notre fille. Quelle abominable hypocrisie ! Ah ! je ne puis rester ici. Je vais me hâter d’aller écrire à mon frère pour l’instruire des propositions de ce digne Jean Lebrenn. — Et madame Desmarais quitte le salon à l’instant où le jeune artisan disait à l’avocat :

— Vous me demandez, citoyen Desmarais, ce que je pense de votre lettre de faire part et de l’époque choisie par vous pour mon union avec Charlotte, je vous répondrai…

—… Avec la sincérité que l’on se doit entre hommes libres, mon cher élève, — reprit l’avocat, interrompant Jean Lebrenn ; — j’exige de vous cette sincérité.

— Eh bien, citoyen, je trouve très-regrettable que vous ayez choisi le jour de l’exécution de Louis XVI pour notre mariage, solennité touchante qui ne doit inspirer que des idées riantes et heureuses.

— Je suis, mon père, tout, à fait de l’avis de Jean.

— Je vous soupçonne, ma fille, d’être une petite royaliste, — reprend l’avocat d’un ton aigre-doux, — et, quant à vous, mon cher élève, je ne croyais pas devoir vous rappeler que le jour où tombe la tête d’un roi est un jour de fête, d’allégresse, de joie délirante pour tous les bons patriotes !

— Citoyen Desmarais, je siégerais à la Convention, qu’en mon âme et conscience je voterais la mort de Louis XVI, conformément à mes paroles prononcées avant-hier soir aux Jacobins ; mais ce ne sera pas pour la république un jour de joie délirante que celui où le glaive de la loi frappera le dernier des rois.

— Et que sera-ce donc, ô mon élève ?… un jour de deuil, peut-être ?

— Il n’y aura pour les bons patriotes ni joie, ni deuil, citoyen Desmarais ; ils verront dans ce grand jour l’une des époques solennelles