Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/116

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pensées, aussi graves que celles dont on est pénétré la veille d’un combat à mort, sont-elles bien d’accord avec celles qui doivent inspirer un jour de mariage, la plus riante des fêtes du foyer domestique ? n’est-il pas regrettable que vous ayez fixé ainsi que vous l’avez fait l’époque de notre union ?

Un moment de silence suivit la réponse de Jean Lebrenn.

Charlotte, douée d’un caractère ferme, d’un esprit droit, d’un cœur noble et dévoué, capable de s’élever jusqu’au sacrifice, parce qu’elle comprenait la force du devoir, avait écouté son fiancé avec une sorte de tristesse sereine ; son estime, son affection pour lui, redoublaient encore : elle lui savait gré de la croire assez vaillante pour ne lui pas cacher la terrible grandeur de la situation de la république, et qu’il devrait peut-être, quelques jours après leur mariage, prendre le fusil et courir aux frontières ; elle se sentait capable de lui dire à cette heure suprême : « Va, ami, fais ton devoir de citoyen ; si tu meurs, je porterai ton deuil éternel ; si tu reviens glorieux, je t’aimerai davantage. »

M. Desmarais avait, au contraire, écouté son futur gendre avec une terreur croissante et secrète, en songeant beaucoup moins aux dangers que la condamnation de Louis XVI devait attirer sur la France qu’à son propre péril, à lui, régicide, si les souverains d’Europe triomphaient dans leur coalition contre la république. Ce misérable sans conviction, sans autre ligne de conduite que celle d’échapper, par tous les moyens, si bas ou si noirs qu’ils fussent, aux dangers dont ses lâches frayeurs et sa conscience bourrelée lui montraient sans cesse le spectre menaçant, n’avait jamais, jusqu’alors, envisagé la question de la mort de Louis XVI d’un regard ferme, clair et allant au fond des choses. Sa courte vue politique, encore troublée par ses perpétuelles appréhensions, juste punition de sa couardise et de son exécrable hypocrisie, ne considérait son vote futur au sujet de la mort du tyran que comme un moyen de détourner les soupçons qu’il sentait peser sur lui, et de se soustraire à leurs redoutables