solennelle, plus frappante aux yeux de tous, Louis-le-dernier eût été conduit au supplice le manteau royal sur les épaules, le sceptre en main et la couronne en tête.
Ma sœur venait de m’adresser ces paroles, lorsque nous avons été témoins d’une scène d’une sombre et terrible grandeur ; elle peint d’une manière saisissante l’exaltation de nos temps homériques… À peine les restes du supplicié furent-ils enlevés, qu’un bataillon de volontaires prêts à partir pour la frontière, des citoyens de tout âge, de tout état, des femmes, des enfants, envahissant les abords de l’échafaud laissés libres par l’éloignement des gardes civiques, ont trempé, les uns leurs baïonnettes, le fer de leurs piques ou leurs sabres, les autres des mouchoirs, des haillons dans la mare de sang répandu par l’exécution de Louis XVI. Les uns voulaient consacrer ainsi leurs armes au moment d’aller défendre la patrie menacée par les despotes étrangers ; les autres voulaient conserver un souvenir visible de ce royal holocauste offert au salut de la France et de la république ! Soudain nous voyons s’élancer sur la plate-forme de l’échafaud un fédéré dans la force de l’âge : il était bras nus, coiffé d’un bonnet rouge, et sur ses traits énergiques on lisait l’exaltation patriotique surexcitée jusqu’à sa dernière puissance. Il plonge ses deux mains dans le sang qui rougissait le plancher de la plate-forme, et les élevant vers le ciel, il s’écrie dans un élan d’inspiration prophétique :
« — Frères ! l’on nous a dit que le sang de Capet retomberait sur nos têtes… qu’il y retombe… Républicains ! le sang d’un roi porte bonheur ! »
Et ce patriote abaisse et secoue solennellement ses mains sanglantes sur une masse de citoyens agenouillés au pied de l’échafaud, afin de recevoir ce baptême redoutable. Ma sœur ! moi et tant d’autres, nous avons senti tomber sur notre front une goutte du sang du dernier des rois de France, et nous nous sommes relevés aux cris, mille fois répétés de vive la nation ! vive la république !