Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sœur un mauvais sentiment ; je me reproche d’autant plus cet injuste soupçon, que je crois avoir à cette heure la preuve de ma fâcheuse erreur.

— Explique-toi, de grâce.

— Ce changement dont nous sommes alarmés depuis quelque temps, et qui remonte à l’époque de notre mariage… sais-tu à quoi d’abord… et très-injustement… je l’ai attribué ?

— Achève.

— Ce changement… je l’ai attribué à la jalousie.

— Que dis-tu ?

— Habituée à concentrer sur toi toute sa tendresse, à partager seule ta vie, Victoria pouvait, me disais-je, éprouver à mon égard, tout en s’efforçant de la dissimuler, cette sorte de jalousie fraternelle que bien des sœurs, et des plus vaillantes par le cœur, ressentent parfois, malgré elles, au sujet de l’épouse du frère qu’elles idolâtrent.

— Quoi !… toi… toi, Charlotte, tu as pu penser…

— Je rougis de mon erreur, mon ami… cependant elle est, sinon excusable, du moins explicable… Te rappelles-tu que, peu de temps après notre mariage, nous avons commencé de remarquer la tristesse, la taciturnité croissantes de notre sœur ?… Ne semblait-elle pas parfois heureuse et parfois attristée de notre intimité ?… ne semblait-elle pas enfin presque toujours sous l’empire d’une préoccupation secrète ?… Et lorsqu’elle tentait d’y échapper par l’expansion d’une gaieté factice, si en désaccord avec son caractère mélancolique et pensif, cette gaieté n’était-elle pas navrante, parce que évidemment elle était feinte ?

— Il est vrai, et dès lors j’ai aussi remarqué en Victoria une sorte de capricieuse mobilité d’esprit contrastant avec la rectitude ordinaire de son caractère. Ainsi, après avoir voulu absolument se charger de ces leçons du soir qu’elle donnait à nos trois petits apprentis et à Olivier, pauvre orphelin qui, malgré ses dix-huit ans,