Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/246

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— Mon avis est que nous devons travailler d’autant plus activement ce soir, que demain et peut-être après-demain il faudra que nous soyons dans la rue.

— Pour nous bûcher ! — s’écrie Castillon rayonnant. — Il s’agit peut-être d’exterminer un nouveau complot de Pitt et de Cobourg, ou une manigance des ci-devants et des calotins… Nom d’une pipe ! ça me va… et ça ira : je viens de finir d’ajuster un amour de mousqueton… je pourrai l’essayer sur les noirs… ou sur les blancs… quelle chance !

— Tu n’auras pas cette triste chance, Castillon.

— Bûcher les ennemis de la république, tu appelles ça une triste chance… toi, mon vieux !

— C’est toujours quelque chose de triste que la guerre civile, mon ami… et c’est la mort dans l’âme qu’il faut se résigner à prendre les armes contre nos frères… ces fils de notre mère commune… la patrie.

— Ah çà ! dis-moi donc un peu, Jean, est-ce que ces brigands-là ont fait la bouche en cœur et mis des mitaines pour canarder, pour canonner les patriotes le 14 juillet, les 5 et 6 octobre… et au champ de mars, et au 10 août, et partout ?…

— Si nos adversaires sont étrangers au divin sentiment de la fraternité, devons-nous les imiter, mon ami ? S’ils nous forcent de les combattre, devons-nous nous réjouir de cette nécessité fatale ?… Non, non, dans la guerre civile tout est deuil… victoire ou défaite.

— Tiens, Jean, nous ne nous entendrons jamais là-dessus. Moi, je ne connais qu’une devise : « À bon chat, bon rat, » ou si tu aimes mieux : « Œil pour œil… dent pour dent, » comme dit l’ancien… voilà pourquoi en septembre nous avons crânement bien fait de purger les prisons, je m’en vante !

— Si tu tiens absolument à te vanter de quelque chose, mon bon camarade, vante-toi d’avoir combattu le 13 juillet, le 10 août, car dans ces grandes journées tu t’es montré brave comme un lion…