Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/32

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— Je pourrais, sire, vous répondre en quelques mots, sans déclamations et par des faits…

— Qui vous en empêche ?

— La crainte de blesser vos idées préconçues, et surtout, sire, la crainte de vous donner lieu de faire un triste rapprochement…

— À propos de quoi ce rapprochement ?

— À propos du hasard étrange qui, pour la troisième fois depuis quatorze siècles, met l’un des descendants de mon obscure famille plébéienne en présence de l’un des héritiers de la monarchie fondée par Clovis.

Louis XVI contemple Jean Lebrenn avec stupeur ; et après un moment de silence, il reprend d’un air inquiet et apitoyé :

— Mon ami, est-ce que vous jouissez de toute votre raison ?

— Je comprends, sire, votre surprise : elle cessera lorsque vous saurez que, depuis plus de dix-huit siècles, ma famille s’est légué de génération en génération une sorte de légende, où chacun inscrit les événements importants de sa vie et de l’histoire de son temps.

— Mais, c’est très-extraordinaire, ce que vous m’apprenez là, monsieur. Comment vous nommez-vous ?

— Jean Lebrenn.

— Monsieur Jean Lebrenn, j’ai peine à croire à ce que vous me racontez ; cependant je me souviens, ce me semble, d’avoir lu quelque part que les anciens Gaulois avaient l’habitude de se transmettre ainsi, d’âge en âge, une espèce de tradition domestique.

— En effet, sire, et cet antique usage a été suivi par ma famille, originaire de la Gaule armoricaine ; l’un de mes aïeux, Brenn, ou chef de la tribu de Karnak, défendit contre les armées de Jules-César l’indépendance des Gaules. C’est de cette époque que date notre légende.

— Tout ceci est fort curieux, monsieur Lebrenn ; et cette légende, vous la possédez ?

— Je la possède.